beIN Confidences - Ian Mahinmi : « Le racisme n’a pas de fondements »
Le racisme, j’ai fait sa rencontre très tôt dans ma vie.
Je vais vous raconter une petite histoire : à 16 ans, je suis avec l’équipe de France juniors pour un tournoi de préparation au Championnat d’Europe. L’équipe de France, comme vous pouvez l’imaginer, est très mixte avec beaucoup de « renois ». On arrive en Slovaquie, un pays raciste au bas mot. On sort avec les gars pour visiter la ville et s’imprégner un peu de la culture slovaque. On se retrouve dans un restaurant qui met un peu de musique et qui se transforme en espèce de lounge.
Sauf que dans ce restaurant, il y avait un regroupement de skinheads mais on ne s’était pas rendu compte. On commence à danser avec quelques nanas, ambiance bon enfant mais, à un moment, on se retrouve encerclés… Avant de finir par se faire courser du restaurant jusqu’à notre hôtel par cette bande. Je le répète : on a 16 piges à l’époque… On se retranche dans notre hôtel et ils font le forcing pour y entrer. Ils balancent des cailloux sur la porte de l’hôtel, sur les fenêtres. Ils font des signes nazis. Un truc de malade, comme dans un film. La police est arrivée quelques minutes plus tard pour calmer le jeu. Tout le reste de notre séjour slovaque, on a une escorte policière pour aller au match. Ça c’est sans oublier les cris de singe pendant les matchs. Cela marque à vie.
C’est triste qu’un homme noir ou arabe soit victime d’au moins un incident raciste dans sa vie. Cela est devenu une normalité…
Tout part du manque d’éducation. Laissez-moi vous dire pourquoi !
Mon papa est béninois et ma maman est jamaïcaine. Mon père a attendu que j’atteigne l’âge de la maturité pour avoir certaines discussions et notamment un thème qui m’a beaucoup marqué : le panafricanisme.
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Le panafricanisme est un concept théorisé par Marcus Garvey, un journaliste et penseur jamaïcain. Son mouvement a trouvé écho dans la majorité des pays africains qui ont obtenu leur indépendance après la Seconde Guerre Mondiale. Les premiers présidents de ces pays, comme ceux de la Guinée, du Sénégal ou du Congo par exemple, ont embrassé le filon panafricaniste. C’est une vision d’unité et de souveraineté des peuples. Le droit à la gouvernance par nous-mêmes pour nous-mêmes. C’est un peu le même combat qu’on vit actuellement.
Il y a toujours des gens qui estiment qu’il y a des problèmes de races et de couleurs de peau. Pour moi, ce sont des problèmes inexistants et surtout un manque d’éducation extrême.
Je suis un grand admirateur de Cheikh Anta Diop. C’est un professeur, docteur, philosophe et historien sénégalais. Il a prouvé, science à l’appui, que la première civilisation sur cette planète Terre est venue de l’Afrique, en dessous de l’Equateur, en dessous du Nil, vers le Kenya. La première civilisation est noire et la raison pour laquelle elle est noire est très simple : si tu n’avais pas de mélanine dans ta peau, tu ne pouvais pas survivre. Donc l’homo sapiens vient de cette région. Il n’est pas jaune, blanc ou métisse : il est noir charbon, très foncé. C’est scientifiquement prouvé : c’est seulement avec ce taux de mélanine dans la peau que l’homo sapiens a pu survivre et se développer il y a deux millions d’années.
La migration a fait que différentes couleurs de peau sont apparues au fil des millénaires. A la base, il n’y a pas d’autre race que l’homo sapiens. Il n’y a pas de race blanche qui est apparue d’un coup, ça n’existe pas. Nous sommes juste une évolution. Mais personne n’en parle car cela n’arrange personne d’en parler.
C’est pour ça que le combat n’est pas uniquement culturel. C’est juste qu’il y a une forte majorité de personnes qui sont mal éduquées. Il y a eu un effort important pour masquer la vérité. Tout ce que je dis, c’est prouvé à maintes et maintes fois par Cheikh Anta Diop, le plus grand scientifique africain. Il est allé jusqu’à prélever des morceaux de momie, tester des fragments d’os pour analyser le taux de mélanine. Même au niveau des langues, cela vient d’Afrique et plus particulièrement d’Egypte avec les hiéroglyphes. Le premier grand savant sur cette terre, Imhotep, était égyptien et donc africain. Mais ça, on n’en parle jamais.
A partir du moment où tu comprends ça, comment peux-tu parler de problèmes de couleurs ? Ça n’existe pas : c’est juste une évolution ! Une fois que tu as compris ça, le racisme n’a plus vraiment de fondements…
On a toujours eu cet instinct de compétiteur, de dominateur : l’homo sapiens veut conquérir, veut dominer, ça c’est dans les gênes. Il veut être le roi. Il est là le problème. Les gens vont te dire : « Regarde l’esclavage. L’Homme blanc était le plus intelligent car il a inventé l’arme à feu, il est venu en Afrique pour coloniser les noirs. Il les a emmenés aux Etats-Unis. »
Ça c’est l’ignorance ! La raison pour laquelle « l’homme blanc » a fait tout ça, c’est dans un souhait de dominer, de conquérir mais avant l’esclavage, l’Afrique n’était pas découpée comme ça. Les peuples vivaient ensemble, les peuples étaient très riches.
Je veux vous parler de mon royaume : celui de Dahomey, c’est le Bénin d’aujourd’hui. C’était un vaste royaume qui regroupait une partie du Nigeria, une partie du Niger, une partie du Burkina-Faso, une partie du Ghana et une partie du Mali. C’était une grosse région d’Afrique où il y avait énormément de ressources minières : de l’or, de l’argent, etc… Il n’y avait aucune guerre car il y avait de la nourriture en abondance pour tout le monde. Avant que « l’homme blanc » arrive avec son esprit dominateur, il a vu des vastes villages avec des grandes maisons, des rois ornés d’or.
Quand l’homme blanc est arrivé, il a été surpris par tout ça. Il n’y avait pas de problèmes pour manger car la terre est très fertile au niveau de l’Equateur. Plus tu montes en Europe, moins la terre est fertile.
Ils se sont dit : « Bon et bien, on va venir se servir aussi ! »
Avant l’esclavage, il y a tout une histoire qui n’est jamais racontée : les peuples africains prospéraient. La médecine dite moderne vient à la base d’Afrique. La majorité des histoires ont été écrites à travers les religions, quelles qu’elles soient, et les médias. En général, le discours vient souvent de l’Occident, on n’entend rarement les penseurs africains.
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Pour autant, malgré cette ignorance, il ne faut pas trop se fâcher. Il faut essayer de se mettre de l’autre côté et bien comprendre que certaines personnes sont mal éduquées. Quand tu grandis aux Etats-Unis dans un Etat du Sud où on te répète depuis que tu es tout petit « Nigga this, nigga that… Les Noirs, ils ne sont bons qu’à cultiver le coton… », forcément, tu grandis avec ces pensées dans la tête !
Si j’ai un raciste en face de moi, ça ne va servir à rien du tout de débattre, je ne le ferai jamais changer d’avis ! Je préfère canaliser mon énergie sur ma communauté et s’assurer que les miens comprennent et savent d’où ils viennent : il est là mon combat !
C’est malheureux mais notre communauté aussi est mal éduquée. Mais on ne t’apprend pas ça à l’école, je n’en veux pas trop à tous ces jeunes.
Dans un premier temps, c’est très important de s’éduquer soi-même. Au bout d’un moment, il faut un peu de curiosité. Moi, j’ai 33 ans, je suis issu de l’éducation de l’école française. Je n’ai pas dû me réinventer mais j’ai dû avoir cette curiosité de me demander ce qu’il y avait avant les Jeanne d’Arc et compagnie, les deux guerres mondiales, les colonies, les tirailleurs sénégalais : qu’est-ce qu’il s’est passé exactement ?
J’ai dû avoir cette démarche au bout d’un moment et j’ai eu l’opportunité d’avoir des parents qui m’ont donné cet esprit critique et qui connaissent bien leur histoire. C’est ça qui faut faire pour beaucoup d’entre nous qui sommes issus de cette éducation qui n’explique pas toute l’histoire, seulement la partie qui les arrange.
Moi qui fais partie de cette diaspora, c’est mon challenge !
Le sportif, c’est son rôle par défaut de véhiculer ce genre de messages. Quand tu es sportif de haut niveau comme nous en NBA, on est un peu projetés à un très jeune âge en tant que leader de communauté. Kylian Mbappé, l’air de rien, même s’il a 21 ans, il a tous les jeunes Africains qui le regardent et qui le prennent pour exemple. Même si tu n’as pas les capacités de leader à cet âge-là, tu es poussé à l’être.
Mais tu n’es pas assez éduqué : tu ne sais même pas encore quel est ton message !
A 19-20 ans, personnellement, je ne pensais qu’à mon « game », à comment j’allais réussir en NBA. C’était dans ma tête 24h/24, 7 jours/7. J’étais à des années-lumière de penser à ma communauté.
C’est un rôle qu’il faut reconnaître le plus tôt possible. On a une plateforme, qu’on le veuille ou non. C’est bien beau les réseaux sociaux, les Snapchat, Instagram… Il faut savoir d’abord d’où tu viens et d’être, au bout d’un moment, porteur d’idées et de messages destinés à l’élévation de ta communauté. Il faut s’en rendre compte. Les carrières de joueurs sont assez courtes donc cette plateforme, tu ne l’as pas indéfiniment.
Tu peux passer au travers toute ta carrière. Et une fois que tu es sorti et que tu commences à avoir cette réflexion, tu as raté ton opportunité. Tu as des gens qui font des choses magnifiques après leur carrière mais cela a malheureusement un impact moindre.
Les joueurs de basket prennent en général leur retraite autour des 35 ans. C’est très jeune quand tu prends un peu de recul : c’est le début de ta vie. Dans une filiale professionnelle classique, une personne ne commence pas à s’élever avant la quarantaine !
Aux Etats-Unis, il y a tellement de joueurs qui se créent une image avec les réseaux sociaux. C’est le monde de demain. Sauf qu’en faisant ça, tu perds la valeur des choses : si tu dis juste « Black Lives Matter » parce que c’est un phénomène de mode et parce que tous tes potes le font, tu rates tout le débat !
Il faut comprendre ce qu’est « Black Lives Matter », cela ne sert strictement de le dire sinon… C’est comme aller aux manifestations et mettre sa tête en Live Instagram pendant une heure à crier comme un zigoto dans la rue. Avant de rentrer chez toi et d’en avoir finalement strictement rien à faire de ta communauté ! Tant que toi, tu es bien…
Le mouvement Black Lives Matter peut être manipulé de partout ! Il faut faire attention à la manière de l’utiliser. A la base, c’est une conversation qu’on a à l’intérieur de soi-même, avec ta propre personne et ta propre communauté : « Oui, non seulement nos vies comptent mais il faut s’aider les uns les autres, se faire confiance, s’aimer, s’entraider plutôt que se critiquer et se diviser constamment. »
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Il est là le dialogue à la base. Maintenant, les gens essaient d’en faire un parti politique, cela n’en est pas un ! A la base, c’est un mouvement de renforcement de notre communauté, avec tous ceux qui veulent nous aider sans discrimination, des personnes qui ont un cœur pur et qui comprennent notre combat. C’est tous ensemble contre l’oppresseur et le malappris. Ça n’était pas un mouvement créé pour diviser les camps.
Nous, on parle de brutalités de la police. Ce sont des faits relatés. Désolé de la grossièreté mais, maintenant, les gens vont tourner ça en mode « fuck the police ». Maintenant, il faut retirer les bourses des policiers et même, grosso modo, il ne faut plus de police maintenant ! Ce n’est pas ça le combat ! Ce n’est pas nous contre la police ! On a besoin de la police. Il y a des agents blancs, noirs ou arabes qui font bien leur travail, qui sont là pour servir et protéger les citoyens.
Si tu n’es pas éveillé, tu rentres dedans comme un mouton et tu subis le pack. Tu rentres dans exactement ce qu’ils essaient de faire : nous monter les uns contre les autres.
Je repense souvent au cas Colin Kaepernick : c’est dommage, on n’est pas arrivé à capitaliser sur son geste et les conséquences de son geste après que la NFL l’a lâché. C’est l’une des raisons pour lesquelles on est encore en train de parler ça quatre ans après ! On ne l’a pas assez soutenu. J’étais plus jeune mais je suis un peu déçu de ma réaction par rapport à ça. J’aurais aimé comprendre un peu plus son acheminement.
C’est toujours avec beaucoup de plaisir que je vois des activistes comme Lilian Thuram ou Vikash Dhorasoo. Ils sont peut-être des athlètes retraités mais ils ont un esprit critique et ils ont eu un moment donné cette curiosité de s’écouter. Ils prônent certaines choses et utilisent leur culture même si cela provoque parfois la polémique…
Mais c’est bien la polémique. On en a besoin. Comment peux-tu avoir une démocratie sans polémique ? On a besoin de personnes comme ça. Les gens ont besoin de personnes qui leur ressemblent pour créer des débats. La démarche de Thuram, Dhorasoo, Demba Ba ou d’autres donne l’opportunité d’ouvrir le débat. Ils parlent de mon quotidien. Lilian Thuram vient de mon milieu. Ce qu’il dit, ça me parle ! Encore une fois, si l’opinion publique n’aime pas ce genre de personnes, c’est une bonne chose pour moi. Cela veut dire qu’ils touchent des sujets sensibles.
J’ai énormément d’espoir en l’avenir. Il se passe beaucoup de choses ces derniers temps, notamment l’éveil du peuple africain en général, qui commence à faire avancer les choses. La jeunesse africaine et sa diaspora ont un rôle essentiel à jouer dans l’élévation de notre communauté, afin de construire une Afrique par elle et pour elle.
Je suis un fervent supporter de ce que proclamait Marcus Garvey : la création d’Etats-Unis d’Afrique, le projet d’Union africaine, où chaque Africain va connaître son histoire. Pas l’histoire transformée, pas l’histoire à moitié racontée. Sans pour autant occulter l’esclavage, la colonisation et toutes les déclarations d’indépendance. Mais pour que les citoyens africains soient unis et comprennent que, tous ensemble, on a tout ce qu’il faut pour vivre bien, vivre mieux.
Propos recueillis par Pierre Godfrin
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