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beIN Confidences - Didier Tholot : "J'ai fait ma causerie depuis les toilettes"
Passé à quatre reprises par le FC Sion, deux fois en tant que joueur, deux fois en tant qu'entraîneur, Didier Tholot a notamment vécu "l'épopée européenne" de 2015 en C3, où le petit club du Valais a tenu la dragée haute au grand Liverpool sur une double confrontation en phase de poules. Un parcours sur lequel l'entraîneur de 56 ans, double vainqueur de la Coupe de Suisse avec Sion, revient dans ce nouvel épisode de beIN Confidences.
Au moment du tirage au sort de la Ligue Europa 2015-2016, l'ensemble des joueurs, du staff est présent dans mon bureau. C'est un moment assez exceptionnel pour le club. Quand on est "un petit", on espère toujours rencontrer des clubs de haut standing, emblématiques. On tire Liverpool, le Rubin Kazan et les Girondins de Bordeaux. Bordeaux, c'est forcément top pour moi puisque cela me permet de revenir vers des émotions énormes. Dès le tirage, on sent vraiment que les trois autres équipes s'imaginent empocher six points contre nous. Personne ne connaît le FC Sion ni même le football suisse...
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que les droits TV en Suisse sont insignifiants donc les budgets n'ont rien à voir avec ceux que l'on a dans d'autres championnats. A Sion, nous avions la chance d'avoir un président, Christian Constantin, qui investissait beaucoup d'argent. Il mettait énormément de pression aussi, mais c'était un passionné.
On prépare cette compétition de manière très intensive. A l'époque, Christian Constantin est un peu innovateur dans ses méthodes : par exemple, en Suisse, il existe dans les Alpes le Mont Cervin, un sommet très difficile à gravir. Il a l'idée de réaliser un montage d'images du Mont Cervin qu'il présente au groupe. Une vidéo pour motiver les joueurs, en concertation avec moi-même avant. Cela fonctionne plutôt bien.
On débute notre aventure européenne en remportant notre premier match à domicile dans notre Stade de Tourbillon face au Rubin Kazan (2-1), qui est un habitué de la Ligue Europa. C'est la première fois de son histoire que Sion joue la Coupe d'Europe dans sa propre enceinte. Les participations précédentes, le club devait jouer à Genève.
Puis vient le déplacement à Anfield. Mon meilleur souvenir en tant qu'entraîneur. Jouer dans ce stade mythique face à Liverpool avec le "You'lle Never Walk Alone" avant le coup d'envoi. A cette époque-là, en 2015, les Anglais ne sont pas en très bonne position. Le club est coaché par Brendan Rodgers. Les tribunes sont très proches des joueurs et les bancs sont presque collés au terrain. Je ne suis pas du tout habitué à ça. Pendant les matchs, j'ai l'habitude de bouger beaucoup de droite à gauche : je me retrouve carrément à un moment à bousculer Rodgers. Je ne l'avais pas vu ! Il me regarde et me lance : "Mais qu'est-ce que tu fous là ?" Après coup, c'était une situation assez marrante.
On prend un but au bout de quatre minutes !
A cet instant, tu te demandes à quelle sauce tu vas être mangé. Finalement, on revient dans la partie avant la mi-temps et on repart avec un point (1-1). Un résultat fantastique qui met le doute dans la tête des autres équipes. On est leader de la poule avant d'aller à Bordeaux. Trois jours plus tard, Rodgers est licencié par les Reds.
Revenir à Bordeaux, c'est très symbolique pour moi. J'ai joué là-bas, j'ai disputé une finale de Coupe d'Europe... On demande à pouvoir s'entraîner à Lescure et, le jour du match, je tente de transmettre au maximum à mon groupe l'état d'esprit nécessaire pour faire un coup. On sait pertinemment qu'on n'a pas les moyens de dominer le match. Mais Bordeaux est très perfectible sur les coups de pieds arrêtés. On axe la préparation du match dessus et marque sur un coup franc ! On subit mais on tient le score.
Victoire 0-1 à Bordeaux.
Je n'ai jamais eu l'occasion d'entraîner en Ligue 1 alors ce résultat, c'est une manière de marquer les esprits. Malheureusement, une échauffourée éclate en fin de match avec Wahbi Kazri : simplement pour être sorti de ma zone technique, je suis expulsé et suspendu pour le match retour.
On reçoit donc les Girondins deux semaines plus tard. Je suis interdit de banc et de vestiaire, obligé de suivre la partie depuis les tribunes avec à mes côtés un gars de l'UEFA juste là pour me surveiller. Sauf qu'à la mi-temps, c'est important de pouvoir parler à ses joueurs et de tenter d'influer le cours du match.
Alors, je parviens à m'éclipser et je fais ma causerie depuis les toilettes où je passe un appel en visio-conférence à mes joueurs. On avait installé une sono dans les vestiaires !
Tous mes joueurs sont regroupés autour d'une table pour m'écouter. Le groupe est encore plus réceptif que d'habitude d'après mon adjoint et le préparateur physique : j'explique qu'il faut y croire jusqu'au bout, que Bordeaux est encore une fois en danger sur les coups de pieds arrêtés... Et on arrache l'égalisation à la 93ème minute sur corner ! Je ne sais pas si mon message a impacté la fin de rencontre mais j'ai d'une certaine manière gagné en crédibilité auprès de mes joueurs après ce match (1-1).
La suite, c'est une défaite en Russie dans des conditions extrêmes (2-0). C'est l'hiver, il neige, il fait très froid... Et on termine ce premier tour par la réception de Liverpool. On a besoin d'un point pour assurer la qualification. Entre le match aller et retour, Jürgen Klopp arrive sur le banc du côté des Reds. On a conscience que ce ne sera pas le même adversaire. Trois jours avant de nous affronter, Liverpool se déplace à Southampton. Pour la préparation du match, le président Constantin m'annonce : "Tu prends mon avion privé et tu vas voir le match avec ton staff".
Bon... On assiste à la rencontre. 1-0 pour Southampton. 1-1 à la 25ème. 1-2 à la 29ème. 1-3 à la 45ème. 1-4 à la 68ème. 1-5 à la 73ème...
Et ça se termine à 1-6 pour Liverpool !
Tu sors du match, tu te dis que cette équipe est une machine. C'est mission impossible, on n'arrivera pas à ne serait-ce prendre qu'un point face à eux. Je ne sais plus trop quoi faire, mis à part prier pour que ça se passe bien pour nous. Le jour du match, notre terrain n'est pas au top. Il a gelé un peu et Klopp décide de faire tourner : on tient le 0-0 et on est qualifié. Un truc historique pour le club. Personne n'avait mis une pièce sur nous.
En seizièmes de finale, on espérait là encore tirer un gros morceau. Mais on tombe sur le Sporting Braga, un tirage au sort pas très médiatique. On est éliminé après avoir fait perdu 1-2 chez nous puis 2-2 au Portugal. On réalise un match moyen à l'aller à la maison. Au retour, tous le monde nous voit déjà dehors sauf qu'à la dernière minute, on envoie une frappe pleine barre !
A deux centimètres près, Sion était qualifié...
Avec le recul, très honnêtement, si je fais la même épopée à la tête d'un club français, la répercussion est beaucoup plus grande pour moi, pour ma carrière. Cela a finalement eu un faible impact car le championnat suisse est peu suivi et dévalorisé par rapport au football français. Il faut pourtant se rappeler que cette année-là, on élimine Bordeaux en poules et le FC Bâle sort l'AS Saint-Etienne en seizièmes...
Propos recueillis par Nicolas Sarnak