beIN Confidences - Mathias Coureur : "Ma carrière, c’est une école de la vie"
Le football, ça n’est pas que Messi ou Cristiano. Dans le foot, il n’y a rien de juste. Tu peux être le meilleur et ne pas jouer, avoir une mentalité irréprochable et qu’on te reproche des choses. Les bonnes personnes au bon moment, ça compte. Il y a une part de talent, mais c’est surtout du travail, de l’abnégation et de la résilience : ne jamais rien lâcher. J’ai envie de dire pardon à tous les coachs que j’ai eus au centre de formation et qui me disaient que le foot est avant tout le mental. C’est ce que j’aurais dû écouter le plus…
Voici mon histoire.
Je m’appelle Mathias Coureur, je suis né le 22 mars 1988 à Fort de France en Martinique. Je suis arrivé tôt en France, à l’âge de 3 ans. J’ai vécu dans le département du Val-de-Marne à Sucy-en-Brie. Une enfance plutôt joyeuse, entourée de mes potes, très souvent dans mon quartier à jouer au foot. Je rêvais déjà d’être footballeur à ce moment-là.
A 12 ans, j’ai eu l’opportunité d’aller au centre de formation du Havre. C’était bizarre : j’étais loin de mes parents et je pleurais beaucoup en cachette. Mais mon objectif était « juste » de réussir.
J’étais plutôt quelqu’un de gentil et très naïf. Je ne me laissais pas faire physiquement mais je me mangeais des petites « hagras », des mises à l’amende, sans m’en rendre compte. Par exemple, on me demandait d’appeler avec mon téléphone, je le passais gentiment et le mec finissait mon crédit. Ça ne me gênait pas sur le moment car j’avais rendu service mais, au fur et à mesure, tu vois qu’on essaye de te prendre pour un pigeon. C’est la première chose que j’aimerais bien dire aux jeunes : la vie, c’est sans pitié et, dans le foot, c’est encore pire.
Au Havre, j’ai eu de la chance d’être dans un groupe où on s’entendait tous bien. J’ai passé quatre premières années géniales et les deux dernières un peu plus difficiles. A l’époque, j’avais 18 ans et on parlait déjà aux autres d’avenir professionnel et moi non. Je voyais que je n’étais pas dans les plans pour aller chez les pros.
Orgueil donc je suis parti et je suis retourné chez moi en me disant que j’allais passer par un autre chemin.
Et là, quand j’arrive dans mon quartier, grande déception. J’ai entendu dire des choses comme :
« T’es comme nous au final », « Tu vas terminer maçon », « Tu rêvais et, maintenant, tu vas redescendre sur terre »
Et mes vrais potes, par pudeur et pour ne pas qu’on pense qu’ils profitent de moi, ils se sont écartés de moi. Et moi j’ai cru qu’ils s’étaient éloignés de moi. J’étais dans le faux et je m’en suis rendu compte beaucoup plus tard.
Je finis alors la saison à Créteil, à côté de chez moi car je suis parti en cours de saison du Havre. Et là, on me propose un essai à Beauvais. Je « pète » l’essai et on m’annonce que je vais reprendre avec la Nationale donc je suis hyper content. Grâce à beaucoup de blessures, je joue et je deviens titulaire. Beaucoup de clubs viennent me superviser. En 32èmes de finale face à l’OM, ils ont vu que j’avais le niveau pour jouer en Ligue 1. J’ai eu plein d’offres et j’ai choisi Nantes.
Enfin, j’ai choisi Nantes sans choisir Nantes. C’était la meilleure offre pour mon agent de l’époque… Il a plutôt choisi pour moi, il a eu sa commission et tout… Je ne vais pas dire son nom car je pense qu’il a compris de ses erreurs mais il m’a fait peur. Je ne peux pas en dire plus mais il m’a fait comprendre qu’il fallait un peu plus que sa commission pour que je signe à Nantes…
Je suis en train de réaliser mon rêve donc je fais mon « teubé » et je dis d’accord. Je signe à Nantes dans des mauvaises conditions et je tombe encore plus de plain-pied dans le monde professionnel dans la foulée. Après mon premier entraînement avec les pros, le coach de l’époque, Michel Der Zakarian, me dit : « C’est pas moi qui te voulait, c’est la direction ! »
A 18, 19 ans, c’est violent. Je ne cherche pas d’excuses mais, quand tu ne me montres pas d’intérêt ou d’affection, c’est fini.
Je ne pense plus au foot.
Je prends un bon salaire, j’ai des nouveaux potes car je ne savais plus trop à qui faire confiance avec ceux de mon enfance. Sauf que ces nouveaux potes, je leur offre une belle vie. Mon téléphone sonne très souvent. Je commence à connaître des endroits que je ne connaissais pas. Même les filles qui ne me calculaient jamais, ça y est…
J’oublie toutes mes valeurs, tous mes principes. Je crois que je suis un beau gosse et j’oublie pourquoi on me calcule. Ça, ça a duré un bon petit moment. Je vais profiter de cette tribune pour tout dire.
Je vous explique : au bout de 3 mois, je m’achète une Ferrari, que j’ai revendue vite hein. Je fais le fou et j’oublie carrément le foot. Sauf que ça ne pardonne pas : tu ne t’entraînes pas bien, les gens ne t’attendent pas. Et là, après avoir été passé la fin de saison en prêt à Gueugnon, tu as Gernot Rohr qui arrive à la place d’Elie Baup à Nantes, Der Zakarian étant parti au bout de quelques matchs seulement. Le FC Nantes était redescendu en deuxième division. La prépa se passe pas mal et Gernot Rohr me fait comprendre qu’il va me faire confiance.
Il me met dans le groupe contre Caen. Je suis trop content mais, juste avant de partir, il me dit :
« Non mais en fait, tu ne pars pas ».
« Comment ça ? »
« Le club veut que tu partes »
Deuxième coup de massue alors que je croyais que la lumière était revenue… Tu as l’entraîneur de la réserve à l’époque, Jacky Bonnevay, qui me dit que je n’ai rien à faire en réserve. Je ne vais pas à Caen, je vais jouer avec la réserve, je fais un match normal. On arrive le lundi et tu as Bonnevay comme ça qui dit :
« Si tu continues à jouer comme ça, je te mets remplaçant… »
Moi j’ai vite compris que ça voulait dire : « On va te mettre la misère pour que tu partes ».
Mon agent ne trouve rien pour moi, bien entendu. Il me dit : « Non mais reste, ne t’inquiète pas ». Sa commission est payée chaque saison si je reste. C’est ce que je vais comprendre après…
Je fais une saison blanche où je souffre intérieurement. Même en réserve, je ne suis pas convoqué parfois. J’ai l’impression que je ne sais plus rien faire, plus jouer au foot. Je craque et je résilie mon contrat. Et là, je peux vous assurer que mon agent a bien résilié mon contrat car là il a touché des sous… Après, je fais des essais un peu partout : à Valenciennes, Dubaï, en Grèce et même à Marrakech…
Je commence à ne plus trop croire en moi et je choisis de rester un peu sans club.
« Vas-y, soit je trouve un taf, soit je me laisse une dernière chance et si je ne trouve rien au Mercato d’hiver, j’arrête tout et je travaille comme tout le monde ».
Pendant ce temps-là, j’ai encore un peu d’argent et je ne me rends pas compte qu’un pote à moi est en train de m’escroquer. A peine croyable : il a usurpé mon identité et a loué des voitures à mon nom. Il avait un pote qui travaillait dans une entreprise de location de voitures. Il avait mon empreinte bancaire, louait des voitures à mon nom et les relouait dans mon quartier. Il m’a même loué une voiture pour tout vous dire… Je ne veux pas porter plainte à la base mais je me résous à le faire pour la première fois de ma vie. Quand il est convoqué par la police, il dit que je mens, que j’étais au courant et que j’essaye de « mettre une carotte » à l’Etat. Bref… Déception totale.
Par la suite, j’ai un pote qui s’appelle Florian Taulemesse qui me dit alors de quitter Paris et me propose d’aller s’entraîner avec lui en Espagne. Il voit que je suis triste, c’est un super pote que j’ai connu à Gueugnon. Il n’y a pas beaucoup d’amis qui restent dans une carrière de footballeur…
En Espagne, sans m’en rendre compte, je suis à l’essai à l’Orihuela CF car, pour moi, avec mon orgueil de joueur français, il était hors de question que je signe en D3 espagnole. Sauf que le coach, qui est un ami maintenant, n’arrête pas de me demander :
« Ça ne t’intéresse pas de venir jouer ? »
Finalement, je vois que le Mercato est proche de se terminer, j’appelle l’agent qui me dit qu’il n’a rien pour moi. Et le club espagnol me dit quoi ?
« Viens jouer pour 1000 euros ».
Je passe d’un salaire d’à peu près de 25 000 euros brut à 1000 euros par mois. Et je dis d’accord parce que j’ai envie de jouer au foot. Je casse tout pendant six mois et je reprends du plaisir.
On me dit que je n’ai rien à faire ici et il y a un club ambitieux de D3, l’Atlético Baleares, qui me dit de venir signer. Tout le monde me dit d’aller là-bas. En plus, le salaire augmente beaucoup par rapport aux 1000, je me ressens un peu footballeur.
A ce moment-là, je rencontre une femme. Elle vient vivre avec moi en Espagne. Je fais une année superbe sauf que, lors des trois derniers mois de la saison avec elle, ça ne va plus. Je ne laisse rien transparaître parce que je me dis qu’on va monter en D2. Et je suis le seul imbécile de l’équipe qui a resigné un contrat de trois ans tellement j’étais sûr qu’on allait monter. Sauf qu’on ne monte pas…
Je suis en pleine rupture et quand je reviens de vacances, je repars en D3. Quand la saison commence, un jour, je reviens d’un match et elle n’est plus là. Il n’y a plus ses affaires, plus rien. Je me sens abandonné, je suis en pleine dépression, je n’ai pas peur de le dire. Cela m’a fait plus mal que lorsque mon pote m’a « carotté » car, à ce moment-là, j’avais besoin d’aide. Je ne pensais jamais vivre une telle chose. Elle était tout pour moi. Je ne mettais plus un pied devant l’autre sur le terrain, je perdais des kilos.
J’arrête le foot !
Je vais dans le bureau du président et je lui annonce ma décision.
« Franchement, j’en ai marre. Depuis le début de ma carrière, il ne m’arrive que des couilles. Laissez-moi passer une vie normale et c’est tout. »
Il pète les plombs et me dit de passer une semaine en France pour réfléchir. Moi je pars et j’essaie de reconquérir ma copine mais elle ne veut pas. Carrément, je fais une garde à vue après une bagarre avec la police. Heureusement qu’il y avait une policière qui a dit : « Mais vous ne voyez pas qu’il est en dépression ? Ce n’est même pas contre nous ».
Ils m’ont laissé sortir.
J’ai dormi dans la rue à Martigues car ils m’ont libéré le soir et je n’avais nulle part à aller.
Je suis allé à Paris puis en Espagne pour résilier mon contrat. Dans ma tête, j’arrête le foot. Je pars en Martinique pour rejoindre ma mère.
Je recherche alors une formation pour tenter de faire quelque chose de ma vie. Sauf que j’habite à 100 mètres du stade de Saint-Joseph. Je pleure tous les soirs et ma mère ne peut pas rester avec moi tout le temps. Ma mère me dit quoi ? « Va jouer au foot ».Je retrouve une ambiance amateur, pour rigoler. Je me rends compte qu’il y a des gens qui ne peuvent pas venir à l’entraînement car ils ont mal au dos. Ça me réveille un peu.
« Hé Mathias, tu n’as pas le droit de lâcher comme ça ! Tu as des embûches mais regarde ces mecs-là. »
Ya un mec qui me disait : « J’ai du mal à payer ma maison. Je suis obligé à faire des heures supp. » Moi j’avais acheté un appartement en claquant des doigts à l’époque.
Je me dis que je fais les 6 mois en Martinique et je repars. Je retourne en Espagne, dans un club de D3, le Huracán Valencia, mais je le savais : j’ai fait une année dégueulasse. C’était dur, la prépa, j’ai souffert de fou comme jamais. Et là, après cette saison, il y a un agent qui s’appelle Walid qui me contacte pour aller en Bulgarie. J’ai alors une autre mentalité.
« Je vais tout niquer, quoi qu’il arrive. Je ne sais pas où je vais aller, ce que je vais faire, j’y vais pour jouer au foot, le reste je m’en bats les couilles. »
Je fais deux ans en Bulgarie, je casse tout, on ne parle que de moi. On gagne une coupe, je suis la star de l’équipe. Objectif réussi et là, j’ai beaucoup d’appels mais moi, j’ai un rêve : jouer la Ligue des Champions.
Tu as un club géorgien, le Dinamo Tbilissi, qui m’appelle avec de grandes ambitions, qui me dit qu’ils ont contacté plein d’anciens de Ligue 1. Je me suis mangé une carotte… Je vais là-bas sauf qu’on n’est pas payé donc je me barre vite. Je suis revenu jouer en Bulgarie dans un petit club. Je vais ensuite au Kazakhstan, au Kaysar Kyzylorda. J’ai un salaire de ouf, on va dire que je reviens dans mes standards de Nantes.
Quand j’étais à Nantes, je voulais impressionner les gens car ça leur faisait plaisir et ils me mettaient en haut de l’affiche. Sauf que cela ne sert à rien : en boîtes, tu mets des 1000 balles de bouteille, moi je ne buvais pas d’alcool, c’est eux qui buvaient. C’est eux qui prennent des photos en écrivant : « Regardez ce que j’ai fait hier soir », alors qu’ils ont mis zéro euro et qu’ils ramènent des filles.
Sauf que j’ai commencé à économiser depuis quelques temps. Je tiens à le dire : c’est très important. Je me suis dit qu’il fallait préparer l’après-foot. J’ai commencé à investir dans l’immobilier à droite à gauche. Et surtout, je n’éclatais pas mon argent en boîtes ou dans des « sapes ».
Maintenant, c’est aider ma famille au maximum et ceux que j’aime, le reste je m’en fous. Et les 1000 euros que je dépensais avant, je préfère les donner à mes proches et ou à des associations, comme Ummanité dont je suis le parrain.*
Et je suis toujours dans cette mentalité-là. J’ai grandi d’un coup.
En plus, sur le terrain, je casse tout car je bosse à mort. Et là, il y a un club sud-coréen, le Seongnam Football Club, qui m’appelle et me propose de doubler mon salaire. Je suis un voyageur et je voulais faire un pays d’Asie.
Sauf que c’est une autre culture ! Tu deviens un employé : tu arrives au travail à 9h et tu pars à 18h. Moi, ça me faisait craquer. En plus, tu t’entraînes fort et longtemps. Le coach, c’est un mec super défensif : si tu mets 5 buts mais que tu n’as pas fait 5 interceptions, t’es sur le banc le match d’après.
Mais je me suis étonné moi-même : il y a un temps, je me serais dit « je me barre » mais je me suis accroché. Je me suis donné à fond, ça n’a pas marché finalement mais je ne regrette pas. C’était un moment difficile mais, humainement, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée.
Finalement, je suis revenu en Bulgarie dans un club que j’aime. J’avais besoin de rejouer et de me sentir aimé.
Maintenant, j’ai beaucoup moins d’amis. On dit beaucoup que je suis « un bâtard » parce que je ne réponds pas à toutes les sollicitations mais je ne fais du mal à personne. Tu as des gens qui vont te connaître pour ce que tu es et d’autres pour ce que tu as. Ça fait toute la différence…
Propos recueillis par Pierre Godfrin
* Avec Ummanité, On aide les gens partout dans le monde, et même en France. On fait des maraudes pour les sans-abris, on fait des dons du sang à Créteil très régulièrement, on est allés construire des puits dans des pays où il n’y avait pas d’eau, on a aidé des réfugiés. Tout ça, c’est vraiment grâce aux dons, on n’a rien en fonds propres. Et là, on récupère aussi des denrées des magasins quand elles arrivent à deux jours d’expiration. Pour un euro symbolique, on propose aux gens dans le besoin l’équivalent de 50 euros de course.