beIN Confidences – Matthieu Bailet : « J’ai aussi fait ce choix pour être lié à elle »
Maman devait aller à la piscine avec ma sœur, Margot. C’était une belle journée donc elle est finalement allée skier avec mon père et des amis. Comme tous les matins, ils m’ont déposé pour que j’aille au club. On s’était donné rendez-vous à midi au restaurant d’altitude de la station (Auron). Mon père arrive, les amis aussi. Et c’est tout. Personne ne comprend. Ils sont remontés et les secours étaient déjà présents autour. On ne sait même pas ce qu’il s’est passé. On sait juste qu’il y avait une barrière de sécurité en bois… C’est tout ce qu’on a su. Depuis ce jour-là, je n’ai jamais pu la revoir. J’avais 9 ans.
Les gens peuvent se demander : « Pourquoi avoir continué le ski ? Comment tu as fait ? ». Je n’ai peut-être pas réalisé. J’ai eu la chance d’avoir l’innocence d’un enfant. Si j’ai pu grandir aussi bien, c’est grâce à mon père. Je n’ai pas vu à quel point il avait souffert. Il nous a laissé continuer skier avec ma sœur. Il nous ramenait à la même station, à Auron, dans le même appartement où on avait l’habitude d’être tous ensemble. Il a été très très fort.
On a grandi à Nice, pas en station. Mon père était dans le football et ma mère dans le handball. Une famille de sportifs mais pas du tout dans le ski. Mon père s’est découvert une passion pour la montagne vers la trentaine et c’est comme ça qu’il nous a mis au ski, pour le plaisir, pas pour la compétition.
J’avais 2 ans la première fois où je suis monté sur les skis. Au début, je n’aimais pas du tout ça. Tu as plein de vêtements, il fait froid, tu es mouillé : c’est quand même assez particulier comme sport quand on est enfant. Donc je n’ai pas accroché. Encore aujourd’hui, je déteste le froid ! Normalement, les skieurs enlèvent leur veste et leur pantalon cinq-six dossards avant de passer. Moi ça m’arrive de rester habillé jusqu’au dernier moment. Je suis un Sudiste, ne l’oublions pas !
Ma sœur, qui a 6 ans de plus que moi, a une histoire différente. Elle a adhéré tout de suite au ski. C’est peut-être aussi pour ça que ma mère a voulu un autre enfant. Elle sentait que Margot quitterait tôt la maison pour le ski.
Je me souviens que c’est vers 5 ans que j’ai commencé à apprécier le ski. J’ai débuté en club et j’ai pu découvrir ce sentiment de liberté. Le matin, je partais avec mon entraîneur et mes copains. Je me rappelle, j’avais mes mini-Mars et mini-Bounty dans la poche, que je mangeais sur le télésiège. J’allais skier toute la journée, pas pour la performance, juste pour cette liberté et cette convivialité. C’est cette ambiance-là qui m’a fait accrocher.
Mes premières compétitions ne sont arrivées qu’un peu plus tard, vers 7-8 ans. Je me suis vite pris au jeu. Quand tu es petit, tu es rapidement obnubilé que par une chose : la Coupe ! Tu n’as qu’une envie, rentrer à la maison avec, rien de plus.
En sixième, j’aurais pu aller en sport-étude mais je n’ai pas voulu car je faisais aussi du sport de combat. Le collège était à la montagne, à Saint-Etienne de Tinée, et le shindokai à Nice. A l’époque, si on me demandait de choisir, je préférais être sur un ring que sur les pistes. C’est en cinquième, que l’on m’a fait comprendre que si je voulais tenter ma chance en ski, il fallait que je rejoigne le sport-étude. Mais je n’ai toujours pas voulu abandonner le sport de combat car j’adorais ça. Donc deux fois par semaine, mon père faisait les allers-retours pour m’y amener. Ça lui faisait au moins quatre heures de route. Je dois vraiment le remercier !
C’est à partir du lycée que les choses sont devenues sérieuses. J’ai eu la possibilité de rentrer au Pôle France d’Albertville. C’est là où je me suis posé et où j’ai choisi de m’investir à 100% dans le ski.
Si je fais du ski, c’est aussi par rapport à mon histoire familiale. Je m’en suis rendu compte que très tard, vers 19-20 ans. J’ai commencé à prendre conscience de ce qu’on avait vécu avec mon père et ma sœur. Je pense qu’étant enfant, je suis un peu passé au travers. A force qu’on me demande « pourquoi le ski ? » j’ai commencé à me poser vraiment la question et analyser certains de mes choix. Je réalise maintenant qu’il y a une vraie relation.
Peu après l’accident, mon père m’a raconté qu’un matin de course je me lève, je mets les lunettes de soleil de ma mère, je vais le voir et je lui dis « aujourd’hui je gagne ». J’avais 9 ans, je ne me souviens plus si j’ai gagné mais je ressens cette liaison. Si j’ai fait ce choix-là, c’est aussi pour être lié à elle.
C’est d’ailleurs symbolique car c’est à Auron que j’ai remporté à 15 ans, en slalom, mon premier titre de champion de France... A la surprise générale, je gagne les deux manches. Chez moi, devant mon père. C’était vraiment une merveilleuse journée, ma plus belle course d’enfance.
Je suis un skieur fou et déterminé, avec les qualités et les défauts, je plaide coupable ! Ce que je préfère, c’est la vitesse. J’ai un petit faible pour la descente. C’est une discipline à part, c’est un sport extrême. On atteint des vitesses folles, on prend des risques. On ne va jamais assez vite, on ne saute jamais assez loin : c’est addictif ! Etre à la limite, c’est ce qui t’offre les meilleures sensations. C’est vraiment ce qui me fait vibrer. Plus j’ai peur, plus je vais être rigoureux dans ce que je vais faire. Quand tu as peur, ton corps passe en alerte, il a une attention, un éveil, que tu n’as pas quand tu es relâché.
C’est ce qui me manquait dans les catégories inférieures. La Coupe d’Europe par exemple, les pistes sont sympas, il y a de la vitesse mais il n’y a aucun stress. Tu as le stress de la course mais pas de peur. Dès que tu passes en Coupe du Monde, certaines pistes sont plus qu’impressionnantes, même si tu les as faites 10 fois ! Dans la cabane de départ, c’est le silence total. Il y a un respect entre tout le monde. Même si on a envie de se marcher dessus, on sait tous les risques que l’on prend. Il y a un vrai calme et là… tu es terrorisé !
Kitzbühel peut paraître la piste la plus impressionnante mais Bormio est l’une des plus dures à skier. C’est pourtant celle que je préfère. C’est un combat du début à la fin, tu n’as aucun répit, il y a zéro relâchement. C’est l’une des rares pistes où tu vois les mecs tomber de fatigue à l’arrivée. C’est vraiment la limite. En plus, la plupart du temps ils nous mettent de la glace, le même revêtement que pour les hockeyeurs !
Et en fait, c’est ça que j’aime. Pas beaucoup de monde aime ce type de ski. Moi, c’est ce que je préfère, un ski un peu moins dans le détail. Il faut un gros cœur. J’ai un instinct sur cette piste qui me réussit plutôt bien (6ème deux ans d’affilée). Tu ne te sens jamais aussi vivant que dans ces moments-là.
Depuis le début de ma carrière, j’ai eu plusieurs grosses chutes et des blessures mais à aucun moment je me suis dit « mais qu’est-ce que je fais là ? ». Je sais pourquoi je le fais, je sais les risques que je prends et j’en prends beaucoup en plus ! Mais c’est aussi pour les risques liés à cette discipline que je fais ça. Si je n’avais pas envie d’avoir autant cette crainte, je ferais plutôt du slalom. Je recherche l’adrénaline et le combat avec la piste. Il faut être un peu fou, c’est vrai mais j’aime ça !
Pendant longtemps, mes coaches m’ont répété « calme toi, fais-en moins, tempère, fais attention ». Mais aujourd’hui, leur discours a un peu changé. Skier dans la retenue, ce n’était pas bon non plus, ni pour moi, ni pour mes résultats. Je suis dans l’instinct, il ne faut pas me l’enlever.
Jusqu’à présent, mon plus beau souvenir, c’est les Mondiaux Juniors à Sotchi en 2016. J’avais eu une saison très compliquée et j’ai réussi à me remobiliser pour ces Championnats du Monde. Finalement, je remporte le titre en Super G. Je fais résonner pour la première fois la Marseillaise à l’étranger. C’est une sensation... une vraie fierté ! Je n’ai qu’une envie, c’est de pouvoir la réentendre. En tant que pur descendeur, un de mes objectifs reste la victoire à Kitzbühel. Mais j’ai aussi en tête les Jeux Olympiques. Performer sur LA course d’un jour, c’est un exploit, une belle finalité.
A 24 ans, avec les JO de Pékin et les championnats du Monde en France, les trois prochaines saisons vont être très importantes pour moi. J’ai de nouveau envie de porter très haut les couleurs de Nice et de la France.
Cette année, j’ai voulu faire un clin d’œil à mon histoire en personnalisant mes casques. J’ai eu envie de faire l’un d’entre eux sur ma ville, Nice. Mais un autre était encore plus symbolique pour moi. Ma mère adorait la peinture. J’ai d’ailleurs un de ses tableaux chez moi qui représente la vue de notre maison à Nice. Un jour, ça m’a fait tilt et j’ai eu l’idée de le mettre sur mon casque. Une fois que j’ai vu le résultat, j’ai trouvé ça magnifique. Il faut vraiment me connaitre pour comprendre sa signification. Pour moi, c’est un hommage discret à mon histoire. Vous en connaissez désormais une partie…
Propos recueillis par Gwendoline NATALI