beIN Confidences / Yohann Ndoye Brouard : "Et là, ma mère ne me reconnaît plus"
Yohann Ndoye Brouard devait disputer il y a quelques semaines les Championnats de France grand bassin à Chartres et avait bon espoir de valider son billet pour les Jeux de Tokyo et participer à une finale olympique. Evidemment, la tragique actualité a retardé l’objectif du leader de la nouvelle vague tricolore. L’occasion pour le Savoyard spécialiste du dos de revenir sur son parcours, entre espoirs, surprises, déceptions et rêve doré.
Ma vocation pour la natation, comment est-elle née ?
Hum, c’est simple, elle vient de ma maman qui est entraîneur de natation au club des Dauphins à Annecy. Je me suis mis à la nation à l’âge de 2-3 ans et j’ai commencé en club vers 6 ans. Mais ma passion a vraiment commencé au collège Raoul Blanchard d’Annecy, avec une classe à horaires aménagés. Au début, je n’avais pas un niveau énorme en natation, je ne faisais pas partie des jeunes qui étaient en équipe de France juniors. A partir de la 3ème, j’ai commencé à me mettre au dos, à m’améliorer et à faire des finales B au Championnat de France junior. Je suis ensuite passé au lycée Gabriel Fauré.
Depuis tout petit, j’ai envie de faire kiné. Dès la 6ème, j’ai commencé à aimer la SVT. On m’a dit que ce serait compliqué de combiner études de kiné et natation mais je suis resté dans cette optique jusqu’à mon Bac.
En seconde, je commence à avoir un meilleur niveau dans l’eau. Je me dis qu’il y a quelque chose à faire. A la rentrée suivante, en septembre 2016, je suis remonté à bloc, j’ai envie de tout casser.
Les Championnats de France petit bassin arrivent et je commence à regarder un peu les records. Je ne suis pas loin du record de France juniors de ma catégorie d’âge. J’arrive à le battre mais un autre nageur de ma catégorie d’âge termine devant moi ! Dans la foulée, les Euro juniors ne se passent pas comme je le souhaite… Je me rends compte qu’il faut plus s’entraîner pour être performant en grand bassin et les structures sportives d’Annecy ne m’apportent pas ce qu’il faut pour atteindre le haut niveau. Je sens qu'il est temps partir, sachant qu’à ce moment-là, c’est toujours ma maman qui m’entraîne. Nos relations commençaient un peu à se dégrader. Elle était encore plus exigeante avec moi car j’étais son fils. Elle me demandait parfois des temps plus durs à moi qu’à d’autres nageurs du même niveau.
A la fin de l’année, je fais mes premiers podiums nationaux en juniors. Je repars avec trois médailles d’argent en 100m dos, 200m dos et 200m 4 nages.
Si j’ai l’impression à ce moment-là de faire des sacrifices dans ma vie ? Non, je ne suis pas un gros fêtard, j’aime bien rester chez moi jouer à la console. Au lycée, c’est vrai que j’ai raté des soirées ou des parties de foot avec des amis pour la natation, mais je ne l’ai jamais trop mal pris. Je ne me suis jamais dit que j’étais en train de rater ma vie. Par exemple, Cristiano Ronaldo ne boit pas une goutte d’alcool. Pour devenir une légende, il faut avoir la meilleure hygiène de vie possible. Après Michael Phelps est le contre-exemple (sourire). Il faut savoir se faire plaisir mais être raisonnable. On ne peut pas être sportif de haut niveau en fumant et en buvant tous les jours. Enfin, on peut être bons mais pas le meilleur.
A partir de la Terminale, je pars à Font-Romeu avec Richard Martinez, l’un des entraîneurs nationaux qui entraîne à l’époque Lara Grangeon. Ma mère a confiance en lui et trouve que sa façon d’entraîner est assez similaire à la sienne. Avec un bassin de 50 mètres à 1800 mètres d’altitude et un internat, je peux mener mon double projet en conciliant les cours et le sport de très haut niveau.
Les premières semaines sont dures car je n’ai pas un physique de sportif, « seulement de nageur ». Courir, c’était compliqué pour moi. Les nageurs ne sont pas des bons coureurs à l’inverse d’autres sportifs plus polyvalents comme Martin Fourcade ou Kevin Mayer. En général, le nageur de haut niveau n’est pas capable d’être performant dans un autre sport !
Au niveau physique, j’étais assez « gros », je pesais 97 kilos. A 1800 mètres d’altitude en étant asthmatique, c’était assez dur de courir ! Les deux premiers mois, j’ai perdu 10 kilos. J’étais affûté. Quand j’ai revu ma mère, elle ne me reconnaissait plus (rires), j’avais des abdos et tout.
C’est à ce moment-là que j’ai vraiment éclaté.
Je fais mes premières finales A, je termine 5ème toutes catégories au 100m dos. Je me qualifie pour les Euro juniors sur 100m dos à Helsinki en juillet 2018. Je fais deux demi-finales et on a battu le record de France toutes catégories sur le relais 4 x 100 mètres 4 nages mixte. Et, au fait, juste avant les Euro juniors, j’ai eu mon BAC S aussi, c’est important !
Dix entraînements par semaine. Me lever des matins à 5h15 pour aller nager : je n’ai jamais vécu ça ! Je le reconnais, il y a des fois où je dors en cours. Les nageurs vous le diront : c’est compliqué d’être un bon élève et un bon nageur. Je fais le strict nécessaire au lycée. Je ne veux pas faire de la natation mon métier car je sais qu’on n'en vit pas, à part quand on s’appelle Florent Manaudou ou Camille Lacourt.
En fin d’année, je ne sais pas trop quoi faire car mon objectif est toujours d’être kiné. Je dois débuter des études en STAPS. J’ai envie de quitter la montagne, je suis loin de ma famille. J’en parle à Richard Martinez, qui était parti de Font-Romeu entre temps. Il me propose d’aller à l’INSEP avec Michel Chrétien, en m’expliquant qu’il y a un dispositif qui permet de devenir kiné en étant sportif de haut niveau. Mes deux objectifs sont réunis.
J’arrive à l’INSEP en septembre 2018. Le début d’année est compliqué car je change mes méthodes d’entraînement. Mon nouveau coach me dit que je peux me qualifier pour les Universiades, les Championnats du monde universitaires, mais je n’y crois pas.
Deux mois plus tard, il y a les Championnats de France petit bassin. Le premier jour, c’est le 200m dos. Je finis 2ème des séries et l’après-midi je remporte mon premier titre de champion de France sur 200m dos ! Ma première médaille aura été un titre. S’en suit une semaine folle où je me sens imbattable (rires). Je me retrouve champion de France du 100m dos alors que personne ne me connait ! Je commence à y croire pour les Championnats du Monde grand bassin qui ont lieu dans 8 mois.
Sauf que… Sauf que je me casse le bras le 18 février au bord de la piscine. Je glisse. Radius cassé. Au début, on m’annonce 6 semaines de plâtre, ce qui amène au début des Championnats de France grand bassin qualificatifs pour les Monde, début avril. Là, je n’y crois plus du tout et me dis même que je ne pourrai pas rester à l’INSEP si je n’y participe pas.
Ce moment-là a été un peu dur.
Le premier jour, quand j’annonce à ma famille et à mon coach ce qu’il s’est passé, je me fais limite engueuler. Heureusement, après ils ont commencé à me soutenir. Vu qu’il n’y a pas cours, je passe une semaine assez sombre dans ma chambre à l’INSEP sans rien faire, sous médicaments, médicaments que je ne tolère pas bien du tout, j’en fais des cauchemars…
Ma copine m’aide à sortir de cette mauvaise passe. Je commence à me dire : « Tu vas faire comme si tu préparais les Championnats de France pour te qualifier pour les Monde ». Je ne bosse que mes jambes pendant un mois avec mon préparateur physique. Je fais aussi de l’imagerie mentale avec une spécialiste. Je mémorise mes courses et m’imagine en train de les nager. Ça paraît un peu fou comme ça mais ça m’a énormément aidé !
Trois semaines avant les Championnats de France, je fais une radio de contrôle. Le médecin me dit : « Je pense qu’on va enlever le plâtre et les broches la semaine prochaine, tout est bien soudé ». Là, je reprends espoir. On me retire les broches mais je continue à avoir des pansements pour aller dans l’eau. J’ai encore des grosses plaies sur mon poignet dues à l’opération. Au bout d’une semaine, tout est cicatrisé et je me retrouve aux France à Rennes, face à plein de gars qui sont prêts, qui n’ont aucun doute et savent qu’ils vont aller aux Championnats du Monde.
Et en face il y a moi avec ma semaine d’entrainement …
Je suis assez stressé mais je me dis que je n’ai rien à perdre, que personne ne m’attend. Le premier jour, je fais mon meilleur temps au 100m dos dès les séries, en 54’’24 mais je loupe la qualif’ pour deux dixièmes. C’est déjà exceptionnel vu les conditions.
Après les qualifs du matin, je sens que mon corps n’est pas du tout prêt pour une autre course, je suis complètement mort à cause du manque d’entraînement. Je fais une grosse sieste et on arrive à l’échauffement l’aprem. Je dis à mon coach que je suis cuit. On zappe un peu l’échauffement, je fais 300 mètres. J’arrive à cette finale, je n’ai plus d’énergie. Mais je décide de mettre ça de côté, j’écoute ma musique et me concentre.
Et finalement je vais aussi vite que le matin et suis champion de France, mon premier titre en grand bassin. Vraiment un truc de fou. Le lendemain, j’ai le 50m dos et là, je n’ai vraiment plus de jus. Je termine 5 ou 6ème. Ça fait deux jours que les Championnats ont commencé et c’est déjà terminé pour moi. Mais quelle joie !
Je commence ensuite la rééducation de mon poignet car avant j’étais en mode « on s’entraîne, on s’entraîne et on verra après ». J’ai des problèmes à l’épaule de mon bras cassé car je force trop dessus alors qu’elle n’est plus assez musclée. Je me retrouve avec des tendinites, c’est le revers de la médaille on va dire (sourire).
Les Championnats du Monde universitaires ont lieu à Naples en juillet 2019. Je finis vice-champion du monde au 100m dos en 53’’80, un temps qui m’aurait permis de participer aux Mondiaux quelques temps plus tard mais je ne l’ai pas fait au bon endroit. Ça arrive…
La nouvelle saison arrive, c’est une année vraiment particulière, j’ai vraiment pour objectif de me qualifier pour les Jeux Olympiques car j’ai déjà réalisé deux fois le temps de qualification. Mon coach me dit en début d’année : « C’est soit dans 7 mois, soit dans 4 ans et 7 mois… »
En décembre, après une deuxième place à Berlin lors de la Coupe du Monde, je vais à Glasgow pour les Championnats d’Europe petit bassin où Florent Manaudou fait son retour en équipe de France. Je m’arrête en séries au 100m et 200m dos. C’est ma première compétition toutes catégories avec l’équipe de France et ça ne se passe pas vraiment comme je l’avais imaginé… Comme c’est un cycle de 3 semaines de compétitions, j’enchaîne directement avec les Championnats de France à Angers. Je vais beaucoup plus vite et gagne le 100m et le 200m dos.
La troisième semaine, on part à Amiens pour nager en grand bassin. Je ne suis pas loin de mon meilleur niveau. Moi qui cherchais uniquement la qualif olympique sur 100m dos, je me rends compte que je peux viser aussi le 200m dos. Avec le temps que j’ai fait au Luxembourg fin janvier, mon niveau est équivalent sur les deux distances. Je préfère le 100m, surtout parce que l’année dernière, avec ma fracture, je n’ai pas fait de 200m car je n’avais pas la caisse.
Il faut savoir que quelqu’un qui fait du 50m crawl ne s’entraîne pas autant que quelqu’un qui fait du 100m. Plus les distances sont courtes, plus on va privilégier l’entraînement hors de l’eau : la musculation, des choses explosives. Un nageur qui fait que du 50 fera 2 000 mètres par entraînement. C’est Florent Manaudou qui disait qu’il ne faisait pas du tout le même sport que sa sœur Laure. A l’opposé, ceux qui font des 10 km en eau libre passent leur vie dans l’eau.
Début mars, juste avant le confinement, on est allés à Tenerife, en Espagne, pour un stage. En arrivant, on a appris que l’hôtel qui était à côté du nôtre était en quarantaine à cause du coronavirus : à 500m de nous, 1000 personnes confinées ! Il y avait plusieurs cas donc pas le choix, on est repartis au bout de 3 jours alors que ça devait être un stage de deux semaines.
Depuis plus d’un mois, je suis confiné à Annecy. On bricole. Je n’ai pas eu la chance de voir ce que ça pouvait donner aux Championnats de France grand bassin alors que tous les feux étaient au vert. C’était il y a trois semaines…
Pendant le confinement, on m’a annoncé que je ne pourrai pas rentrer en école de kiné en septembre... La filière réservée aux sportifs de haut niveau a été supprimée. Je ne trouve pas ça énorme de la part de l’Etat... Je vais devoir attendre un an avant de commencer les cours. Heureusement,j’aurai tout de même un objectif plutôt sympathique : me qualifier pour les Jeux de Tokyo et plus si affinités...
Propos recueillis par Pierre Godfrin