beIN Confidences / Richard Gilot, un Frenchie en D6 anglaise !
J’ai toujours rêvé de jouer en Angleterre. Ce rêve, je l’ai accompli un peu par hasard.
Tout a commencé en décembre 2017. J’avais alors 21 ans.
Un de mes meilleurs amis, Ilyes Aissaoui, vient de rentrer en France pour se poser quelques mois. Il travaillait auparavant dans la finance en Australie. Je le retrouve à Paris après un match avec la réserve de QRM, où j’évoluais depuis un an et demi. Je lui explique ma situation et je lui dis que je rêverais d’aller en Angleterre pour connaître la ferveur dans les stades. Et là, il me sort : « Mec, j’ai quelques mois devant moi, je ne fais rien. Viens on y va, et comme je suis bilingue, je parle pour toi ».
On est partis comme ça un mois plus tard. On ne connaissait personne. Mon ami a appelé des clubs directement et on a bougé comme ça en attendant d’en trouver un. Et on a trouvé preneur directement à Bognor Regis, un club de D6 anglaise, le dernier échelon semi-professionnel. Au-dessus, à partir de la 5ème division, c’est pro.
Avant de signer un éventuel contrat, le premier entraînement arrive. Une sorte d’essai grandeur nature. Sans surprise, il fait bien froid.
Ce que je ne savais pas, c’est qu’en Angleterre, ils ne se serrent pas la main pour dire bonjour. Du coup, j’ai cru au début qu’ils ne voulaient pas me saluer… Mon ami Lys Mousset m’avait fait la même réflexion quand il était arrivé dans le vestiaire de Bournemouth : « C’est bizarre, personne ne me dit bonjour ! » Bon, ils ne me disent pas bonjour mais j’attaque direct. Je suis milieu défensif et je suis à fond dès le début. Mes futurs coéquipiers avaient une expression qui m’a fait marrer, ils répétaient : « Fuckin brillant Richard ! » J’ai mis le pied directement, ils ont vu que j’avais la dalle.
Je revois aussi un « petit vieux » courir vers mon ami pour lui dire qu’il voulait me faire signer direct ! Il s’appelle Jack Pearce et donne tout pour son club de cœur. Mais c’est aussi l’une des 12 personnalités les plus influentes au sein de la Fédération anglaise de football. Il y a beaucoup d’articles sur lui sur Internet où les journalistes se demandent pourquoi il n’a jamais pris en main un gros club.
Bref, après cet essai, le club me propose des bonnes conditions : une maison, un salaire de 300 livres par semaine, environ 330 euros, jusqu’à la fin de la saison avec une année en option si je ne signe pas dans un club de D5 la saison suivante.
C’était une grande maison avec 4 chambres à Portsmouth, à côté de Bognor Regis. Après, il faut aimer les maisons à l’anglaise car elles ne sont pas très bien agencées, mais je n’allais pas faire la fine bouche…
Après avoir obtenu mon « international clearance », le sésame qui permet à un étranger de jouer en Angleterre, j’ai commencé en janvier.
On joue Leyton Orient en Cup. Je fais un très bon début de match avec un but à la clé. A la demi-heure de jeu, je tacle un mec bien comme il faut mais, pour moi, il n’y a pas faute. Après, en revoyant les images, je le soulève même si je touche la balle derrière ! Je prends un jaune. A la mi-temps, on me dit : « Calm down, calm down ». Je leur réponds : « T’inquiète ».
A l’heure de jeu, bam, grosse faute, deuxième jaune et bye bye Richard !
Et là, je ne comprends pas ce qu’il se passe : je sors sous les applaudissements. C’est un petit stade de 4 000 spectateurs mais il y avait une sacrée ambiance. Je pensais que c’était foutu car ils m’avaient fait signer un contrat pour un seul match à la base. Après la partie, je vois que sur Facebook, le club me met en photo de profil sur le compte rendu du match et m’encense.
J’arrive dans le bureau le lendemain matin, le contrat est déjà préparé… Improbable.
Arrive mon premier match à l’extérieur. On prend le bus pour y aller. Je suis au fond et je me retourne : trois cars de supporters ! En D6 anglaise. Incroyable. Ils se mettaient à chanter dans les stations-services quand on les croisait.
Il a plu toute la journée, on a joué dans la boue. C’était la première fois que ça m’arrivait. Je suis devant cette photo actuellement, je suis couvert de boue… En France, c’est match annulé direct ! Pourtant, en général, les terrains, c’était des vraies pelouses et le niveau de la D6 anglaise ressemble à celui de la Nationale 2, la 5ème division française.
A chaque fin de match, c’est obligatoire d’aller applaudir les supporters, même en cas de défaite. Et quand tu gagnes, la tradition veut que les supporters te lancent des bonbons, des chewing-gums ou des chocolats.
Les six mois se sont vraiment bien passés avec le Bognor Regis Town F.C. mais je sentais que je pouvais taper au-dessus. Il y a un club professionnel, Eastleigh, qui est venu et qui a demandé que je m’entraîne avec eux en fin de saison. Ça s’est super bien passé. Ils m’ont demandé de faire la reprise avec eux. Je préviens Bognor et ça se trame bien…
En match de préparation, on joue Reading, je suis à l’origine du premier but. On était quatre à l’essai et je suis le seul à qui on dit que c’est bon pour le contrat. On était le mardi et la signature était prévue le jeudi. J’étais aux anges. Les conditions étaient vraiment bonnes.
Le jeudi, je suis au massage. Je savais que le club était dans une phase de transition mais là, j’apprends que le président d’Eastleigh, Stewart Donald, vient d’acheter Sunderland, son club de cœur. Il a fait fortune dans les assurances et il a donné des gros salaires pour les joueurs en place. Et il était obligé de vendre Eastleigh pour racheter Sunderland car, pour une affaire de conflits d’intérêts, tu ne peux pas posséder deux clubs.
D’ailleurs, dans la série Netflix sur Sunderland, il est omniprésent dans la saison 2. Et dans son bureau, il y a une écharpe d’Eastleigh, j’ai reconnu direct !
Bref, le nouveau président qui est arrivé pour le remplacer n’avait pas les mêmes moyens que lui. Désormais, le seul moyen pour moi de signer est qu’un joueur de l’effectif parte. Donc je reste au club quelques semaines pour m’entraîner. Sauf que personne ne part.
La plus grosse déception de ma vie.
Je décide donc de signer au Poole Town F.C. en août, un club semi-pro de D6 comme Bognor.
Sauf qu’à Poole, ça ne fonctionne pas du tout. Le coach met du temps à me mettre titulaire, j’étais parti pour beaucoup jouer après la belle saison que je venais de faire. Et là, le coach m’a trop fait patienter, comme si j’étais un petit jeune.
J’ai décidé de retourner à Bognor seulement quelques mois plus tard. J’avais gardé contact avec pas mal de supporters qui me demandaient comment ça allait, ce que je devenais. Ça m’a touché.
C’était un nouveau coach sur le banc, Robbie Blake qui a évolué en Premier League quand il était joueur. Et le courant passe super bien avec lui. Premier match sous ordres, je tacle et je l’entends gueuler sur le côté. En fait, il était super content et les supporters m’applaudissaient comme si j’avais marqué un but.
La saison file mais je perds espoir petit à petit de signer dans un club pro. On arrive en mars, aucune proposition… Je commence à perdre courage.
On fait tout de même un bon parcours en coupe du Sussex, on sort les U23 de Brighton en demi-finale et on remporte la finale 1-0. Ça faisait plus de 30 ans que Bognor n’avait pas gagné de trophée. Les supporters étaient aux anges.
Cette finale est donc mon dernier match en Angleterre. Je suis nommé « Man of the match », la boucle est bouclée, je pars heureux. Et surtout je suis reparti avec un gros pack de bières !
Un an et demi plus tard, mon aventure anglaise se termine et je rentre en France. J’ai préféré jouer la stabilité. Si j’avais signé un gros contrat, j’aurais choisi la voie du foot. J’aurais pu aussi continuer en semi-pro, bosser à côté comme certains de mes coéquipiers, dont la plupart étaient coachs sportifs, et faire ma petite vie là-bas.
Mais là, j’ai décidé de rentrer sur le port du Havre pour être docker avec mon père. Quitte à revenir plus tard dans la foot d’une autre façon. Le plus fou dans tout ça, c’est que mon ami Ilyes Aissaoui, avec qui tout a commencé, a lui passé ses diplômes d’agent et en a fait son métier. Je lui dois beaucoup donc je suis très heureux de son changement de vie.
Il y a quelques jours, j’ai reçu un message de Jack Pearce, le petit vieux dont je parlais tout à l’heure. Le club refait une tribune et, avec la crise sanitaire, c’est un peu compliqué donc ils ont lancé une cagnotte en ligne. J’ai participé et ils ont écrit un article sur le site pour me remercier.
Là-bas, ce sont des gens qui te marquent et qui te donnent tellement d’amour que tu ne peux qu’être gentil avec eux. Je ne serai pas oublié de sitôt, c’est finalement ça ma plus grande fierté.
Propos recueillis par Pierre Godfrin
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