Top 14 : la polémique autour du salary cap en quatre questions
Le microcosme du rugby français est secoué depuis une semaine par les propos amers d'Antoine Dupont autour du salary cap imposé aux clubs du Top 14. Mais de quoi s'agit-il exactement ?
Antoine Dupont a récemment vivement critiqué le « salary cap » en vigueur dans le Top 14, le qualifiant de « trop restrictif » car il impose des contraintes sur les droits à l’image des joueurs. Selon lui, ce dispositif empêche les joueurs de profiter pleinement du développement commercial du rugby français, au bénéfice de leur propre image.
Qu'est-ce que le salary cap ?
Pour éviter les risques de banqueroutes et de projets se voyant un peu trop beau, la Ligue nationale de rugby (LNR) a instauré en 2010 un dispositif visant à empêcher les clubs du championnat de France de dépasser les limites que leurs moyens financiers permettent. Inspiré de ce qui se pratique dans les principales ligues sportives nord-américaines, le salary cap est un plafond salarial que les clubs ne sont pas autorisés à dépasser. Celui-ci est fixé actuellement à 10,7 millions d'euros, et ce jusqu'à la fin de la saison 2026/2027.
Le salary cap inclut toutes les différentes formes de rémunération autour d'un joueur : son salaire, les indemnités de transfert d'un joueur lorsqu'il passe d'un club du Top 14 à un autre, ou encore les droits à l'image des joueurs. Un cadre assez strict, et qui avait notamment conduit à une amende d'1,3 million d'euros (après négociation) contre le Stade Toulousain en avril 2025 autour du transfert de Melvyn Jaminet, survenu trois ans plus tôt. Le club d'Antoine Dupont avait procédé à un montage pour tenter de dissimuler le montant de transfert de l'international français depuis Perpignan. La traque de ces pratiques est un des sacerdoces de Yann Roubert depuis son élection à la tête de la LNR, pour laquelle il avançait vouloir "éradiquer la tricherie".
Outre ces 10,7 millions actuellement alloués, un "bonus" est ajouté aux clubs qui fournissent des joueurs au XV de France. Un crédit annuel de 180 000 euros par joueur est octroyé à chaque club, à condition que le joueur figure dans la liste dite "premium" réalisée chaque début de saison par la Ligue nationale et la Fédération française de rugby. Le journal Sud Ouest a ainsi établi que pour la saison actuelle 2025-2026, la masse salariale autorisée du Stade Toulousain serait en réalité de 13,5 millions d'euros, 2,7 de plus que le salary cap théorique. Derrière le champion de France, La Rochelle pourra compter jusqu'à 12,1 millions d'euros de masse salariale, l'Union Bordeaux-Bègles 11,9 millions d'euros.
Pourquoi Antoine Dupont s'est-il élevé contre le salary cap ?
Présent lors d'un événement jeudi 2 octobre dernier fêtant le renouvellement de l'accord entre le Stade Toulousain et l'entreprise Peugeot, la superstar du rugby français a critiqué en longueur ce modèle de salary cap. Le champion olympique de rugby à VII et capitaine du XV de France a dénoncé un système qu'il juge "trop restrictif". "On se retrouve dans une économie du rugby qui est grandissante grâce à nous les joueurs, au milieu, et au final, on n’est pas bénéficiaire de cela, puisque le salaire stagne, voire baisse, et on ne peut pas utiliser notre image", a estimé Dupont. "Ça commence à faire beaucoup."
Le demi de mêlée pointe ainsi du doigt sa situation, et le contrat de partenariat qu'il a passé en son nom avec Peugeot, également partenaire du club toulousain. Ce contrat a ainsi dû être inclus dans le salary cap haut-garonnais, tout comme celui de son coéquipier en club et en sélection, Romain Ntamack. "En fait, nous n’avons pas toujours la liberté de nos contrats d’image individuels" a résumé Dupont. Le joueur envisage le sujet comme "notre combat des prochains mois, j’espère", en déplorant que les idées portées par Provale, le syndicat des joueurs, ne soient selon Dupont "pas du tout entendues" par la FFR. Il a notamment reçu le soutien de Grégory Aldritt, l'international de La Rochelle, ou encore d'Ugo Mola, son entraîneur à Toulouse.
Est-ce que les raisons avancées par Dupont sont justes ?
Antoine Dupont avance que les contrats publicitaires des rugbymen à titre individuel sont entravés par le salary cap. D'un point de vue réglementaire, rien n'empêche toutefois un joueur d'avoir des contrats avec un sponsor qui soit aussi celui de son club, comme l'est Peugeot pour Dupont et le Stade Toulousain. S'il est vrai que le montant de ces contrats peut restreindre la part du salary cap allouée aux salaires directs des joueurs, cette mesure vient éviter des dérives auxquelles certains clubs se sont déjà adonnés. Le président de Montpellier, Mohed Altrad, avait ainsi dû s'acquitter d'une amende de trois millions d'euros en 2020 pour des infractions répétées au plafond du salary cap.
Ne pas avoir à déclarer ces contrats avec un sponsor commun à sa formation, c'est prendre le risque d'un jeu de billard à trois bandes dans lequel le seul perdant serait l'équité. Un club pourrait ainsi négocier ou faire pression sur un de ses sponsors pour que soit augmenté le droit à l'image individuel d'un joueur en échange d'une rémunération plus faible pour le dit club. C'est particulièrement vrai pour les formations les plus fortunées, et donc les plus susceptibles de compter dans leurs rangs des stars à même de bénéficier de tels partenaires.
Quant à la stagnation, voire la baisse de salaire évoquée par Antoine Dupont, elle semble aller à l'encontre des chiffres officiels du rugby français. Entre la saison 2020-2021 et la saison 2024-2025, la masse salariale annuelle générale du Top 14 a augmenté de 8,08 % (de 137,4 millions d'euros à 148,5 millions d'euros). Le salaire médian des joueurs a, lui, enflé de 7,23 % sur la même période (de 215 800 euros bruts par saison à 231 400 euros bruts).
Que va faire la Ligue nationale de rugby ?
Conforme à sa ligne défendue depuis la mise en place du salary cap, la LNR ne compte pas assouplir sa doctrine concernant le salary cap. "C’est un principe de transparence, récemment renforcé, qui vise à éviter tout contournement du plafond salarial par des rémunérations indirectes" a-t-elle rappelé dans un communiqué en guise de réponse à Antoine Dupont. L'instance a ajouté que selon elle, "le débat est totalement ouvert" et qu'une "réflexion de fond est engagée avec les clubs sur l’ensemble du dispositif".
La volonté semble manifeste, puisque Yann Roubert avait évoqué vouloir abaisser ce plafond après la saison 2026-2027, après l'avoir déjà été une première fois lors de la période du Covid-19, riche en incertitudes. "Le salary cap n’est pas là pour brider les clubs et les priver d’ambitions, mais justement pour les accompagner et les rendre soutenables" avait expliqué Roubert début septembre lors de la conférence de presse de rentrée du Top 14.
Le constat s'appuie notamment sur le rapport annuel de la commission de contrôle des Championnats professionnels, qui pointait alors du doigt le constat préoccupant selon lequel dix des quatorze clubs de l'élite ayant terminé la saison 2023-2024 avec une perte d'exploitation. Le montant des pertes avait été revu à la hausse de 9,7 % par rapport à la saison précédente.