Omar da Fonseca : "Maradona volait quand nous on marchait"
J’ai connu Maradona quand je jouais avec lui. On était en juniors. Nous, on avait des chaussures prêtées par nos frères et nos cousins, lui avait déjà 18 paires de pompes. Puma lui avait déjà fait un super contrat. Il était comme ça : il vivait dans l’intensité, dans la démesure. Sa vie était un chant à la liberté, à la non-connaissance des règles. Il est parti de rien, il est parti du bidonville le plus minable qui existait. Il n’a pas beaucoup connu l’école. Il a vite été dans la débrouille avec ses frères et sœurs. Il vivait dans une maison en tôle, sans le sou. Et on parle de 50 ans en arrière ! A cette époque, l’Argentine, c’était un désastre.
Mais il s’est retrouvé parmi les étoiles et les planètes même pas connues du système solaire, en n’ayant jamais ni préparation, ni formation, ni appui de rien. Il faut savoir que lui se produisait à la mi-temps des matchs des Argentinos Juniors quand il avait 14-15 ans. Il sortait et il jonglait avec une balle de tennis, et même une orange de temps en temps. Et tout le monde l’applaudissait, il se faisait déjà payer : c’était lui le spectacle !
Ça n’était pas un être humain. Vous vous imaginez en Argentine où le ballon est le roi des jouets ? Gamin, tout le monde a un ballon comme jouet : les garçons comme les filles. A l’époque, c’était une dictature au pays et on disait que le ballon était même plus important, plus mis en avant qu’un livre, mais moins que des armes…
Il venait d’un endroit où les règles étaient souvent déréglées… Nous on commençait l’entraînement à 10 heures, lui arrivait à 10h30 car sa vie était différente. Lui était différent. Vous imaginez à 17 ans être adulé par des millions de personnes ? En Argentine, on dit que lorsque Maradona se balade avec le pape, on se demande : « Qui c’est le mec à côté de Maradona ? ».
Avec le PSG ou Monaco à l’époque, on faisait des tournées en Afrique. On allait au Tchad, au Cameroun, au Congo, dès que je sortais mon passeport et qu’on le voyait, on me disait : « Ah vous êtes Argentin ? Maradona ! Maradona ! » C’était toujours cette phrase. Tous les Argentins ont une relation spéciale avec lui.
J’ai fait deux interviews avec lui dont une avec Nagui. On lui avait payé une grosse somme pour l’interview. Nagui voulait faire un documentaire. Il y a eu trois jours de tournage prévus. On est partis à une douzaine de personnes avec les techniciens et tout. On avait pu avancer une certaine somme. Le premier jour, Maradona n’est pas apparu pour des raisons mystérieuses… Le deuxième jour, pareil. Nagui a failli me casser la gueule. Le troisième jour, alors qu’on avait loué des bagnoles, des beaux décors, il nous a plantés à nouveau. Et lorsque je suis alors allé le voir, il était en petite forme, tout barbu, il devait s’être enfermé chez lui depuis quelques jours, sans se doucher certainement.
Sauf que cela s’est bien fini : Maradona, vers 3-4h de l’après-midi, s’est présenté : tout rasé, tout beau, un petit polo bleu magnifique. Alors qu’il n’avait jamais vu Nagui de sa vie, quand il s’est retrouvé devant lui, il l’a embrassé et lui a dit : « Oh Nagui, comment ça va ? », comme s’il le connaissait depuis toujours. On a ensuite passé la soirée ensemble, il était hyper sympa. On a fait une interview de 3-4 heures quand même mais sans bouger de l’endroit où on était alors qu’on avait préparé plein de plateaux… C’était ça Maradona.
Il a toujours vécu au-delà de la logique. Dans sa vie, il n’a jamais dû payer une facture d’électricité, une paire de chaussures ou une baguette. Il a vécu entouré, sollicité, demandé, exposé, critiqué. Si n’importe qui parmi nous avait vécu rien que 20% de sa vie, il serait déjà entre quatre planches…
Le mec vivait dans un autre monde, il volait quand nous on marchait.
C’est un mec qui était un tout petit, tout moche lorsqu’il était jeune, plein de cheveux partout. Tout le monde disait que c’était un Dieu, un extraterrestre mais il ne faisait que jouer extraordinairement bien au foot. Ce n’était pas une tête pensante, il n’avait rien découvert, il avait juste dépassé la dimension du joueur de foot. C’est ça le plus fou avec lui. Il a côtoyé le monde politique, de la richesse, de la drogue, …
Pour moi, Maradona représente, le football, l’émotion, la passion, l’exagération, la fusion. Je me suis retrouvé à embrasser je ne sais pas combien de personnes grâce à lui lorsqu’il marquait un but. Et ses matchs étaient des œuvres d’art. Il fallait choisir le musée et les galeries pour les accrocher. Il avait une manière de jouer qui mélangeait beaucoup de choses. Le paradoxe de ce mec-là, c’est qu’il mettait des coups de pinceau avec des petits lobs et d’autres gestes gracieux, mais en étant aussi malicieux voire même tricheur et vicieux. Les deux buts face aux Anglais en 1986, c’est ce qui le représente : le premier but, il l’a volé et le deuxième, il l’a décoré.
Il a ramené la rue dans les stades car lui, tu ne pouvais pas le cadrer. Il y a toutes les danses, le tango, la capoeira, la valse : la danse de Maradona, elle, ne s’enseigne pas ! Car il n’y a aucune logique avec lui. Il a été sur le toit du monde, évidemment qu’il a touché les étoiles mais il n’a jamais rien demandé. Il s’est retrouvé à être un élu, en plus d’un génie. Il est devenu un porte-drapeau et on aurait voulu attendre de lui qu’il arrête des guerres, qu’il se mette à la politique, qu’il puisse bien parler, qu’il soit toujours apprêté. Mais ça n’était pas lui ! Certes, il a souvent fait n’importe quoi, notamment avec la drogue, mais il n’a jamais eu de stratégie perverse à essayer de faire croire des choses. Lui ne se coiffait pas, il s’en moquait de son image.
Lui, il vivait, tout simplement.
Propos recueillis par Pierre Godfrin
Omar avait fêté les 60 ans de Diego il y a quelques jours en vidéo :