beIN Confidences : Le recrutement se passe... sur Twitter !
Me voilà donc depuis quasiment un an à Buffalo. J’aimerais vous expliquer un peu plus en détail comment j’ai atterri dans cette université.
Généralement, les coaches recrutent les joueurs en venant regarder des matchs ou grâce à des camps organisés par les écoles. Dans mon cas, c’était différent dans la mesure où j’étais à l’étranger, au Canada, donc je n’étais pas sur les radars des coachs. Mon challenge, c’était donc de me faire connaitre, de me mettre sur la « map ».
Pour y arriver, j’ai pu bénéficier de l’aide d’un entremetteur, Brandon Collier, qui a beaucoup de contacts. Mais cela ne suffit pas. J’ai voulu aussi me créer mon propre réseau.
Au foot US, tout le recrutement se passe sur Twitter. Tous les coachs y sont. Sur les sites internet des universités, il y a le profil Twitter de chaque coach. J’en ai contacté énormément. J’avais un CV, des lettres de références d’anciens coachs et j’ai envoyé plus d’une centaine de messages. C’est un peu « au petit bonheur la chance ».
Et honnêtement, je n’ai pas eu beaucoup de réponses. Il faut dire que le recrutement se base beaucoup sur la réputation. Se « vendre » soi-même, ça a moins d’impact que si un coach vient parler de toi directement.
Mais j’ai continué à être proactif. J’ai remarqué que beaucoup de joueurs recrutés en NCAA postaient des vidéos sur Twitter. Donc je me suis lancé.
J’ai mis des highlights, les meilleurs moments de mes matchs. Mais ce n’est pas suffisant. Tu dois aussi mettre au quotidien des vidéos de toi en train de t’entraîner, de faire des exercices spécifiques à ta position qui vont montrer tes capacités athlétiques. Et ça, tous les jours. Plus tu vas être actif, plus tu as une chance de te faire repérer.
Et ça a marché. Un jour, un coach spécialisé dans mon poste a retweeté une de mes vidéos. Des entremetteurs ont vu mon potentiel et ont commencé à parler de moi à des entraîneurs d’université. A partir du moment où j’ai eu de la visibilité, mon téléphone n’a pas arrêté de sonner. Pleins de coachs de grandes universités m’ont appelé : Tennessee, Indiana, Cincinnati, Air Force Academy, North Carolina.
Ils étaient impressionnés par mes capacités athlétiques et mon gabarit. Que je sois aussi explosif et rapide malgré ma taille. En foot US, c’est comme en NBA, ils s’attardent beaucoup sur les attributs physiques comme la taille, le poids mais aussi l’envergure de main, la longueur de bras. Sur le papier, ma description correspond parfaitement aux mensurations NFL d’un Defensive End.
Le fait d’être en Equipe de France est aussi un gage de qualité, ça te donne de la crédibilité. Les Américains se disent que tu fais partie du haut du panier dans ton pays. Ils voient ça aussi d’un côté marketing, ça peut leur donner de la visibilité en Europe.
Ils apprécient aussi que je sois un « late boomer » comme ils disent, quelqu’un qui commence le sport tard. Pour eux, c’est comme un diamant brut, à qui tu peux tout apprendre. Tu n’as pas eu le temps de prendre de mauvaises habitudes donc ils peuvent te façonner.
Lors de la première discussion au téléphone avec les coachs, ils te flattent. Tous. « On voit un potentiel énorme en toi ». Après, ils te posent les mêmes questions : « As-tu passé le SAT ? (c’est un test d’aptitudes scolaires). Peux-tu nous envoyer tes bulletins ? As-tu été décrété éligible par la NCAA ? »
Pour ça, tu dois t’inscrire sur un portail. La NCAA va analyser ton parcours scolaire et donner son accord pour que tu joues en Division I. Elle va regarder aussi si tu n’as pas déjà été payé. Surtout qu’en Europe, il y a des ligues semi-professionnelles donc ils vérifient que tu sois encore amateur.
Quand tu dis aux coachs que tout est en règle, ils répondent « Parfait, je vais parler de toi à mon staff ». Ils en profitent pour se renseigner sur toi, auprès de tes anciens coachs pour savoir quel genre de gars tu es. Ils te rappellent quelques jours plus tard pour te parler du programme mais surtout pour te séduire. Ils te disent que tu vas être heureux chez eux, que tu vas jouer dès le premier jour. Ils parlent aussi des joueurs qui évoluent à ta position qu’ils ont envoyé en NFL.
Certaines universités vont franchir le pas et faire une offre. Si une équipe te veut vraiment, elle va rapidement te proposer une bourse. Buffalo a été la première.
Mais je ne me suis pas précipité. J’ai attendu le dernier jour, le National Signing Day, pour annoncer ma décision. Mais c’est un risque. Car ton offre n’est pas garantie. Les universités ont un nombre limité de bourses à proposer. Elles peuvent ajouter 25 nouveaux joueurs par an à leur effectif. Donc si tu attends trop, ton offre peut ne plus être valable. C’est un peu un coup de poker.
Généralement, une offre en entraîne une autre. D’ailleurs, dès le lendemain j’ai reçu une deuxième offre, d’Idaho. En tout, j’en ai eu quatre : Buffalo, Idaho, Colorado et Temple.
Une fois que tu as reçu une offre, les universités t’organisent une visite officielle. Et là, c’est le kiff total ! Ils te payent le déplacement et tu peux venir avec deux membres de ta famille. Avant ta venue, ils se renseignent sur ce que tu aimes. Et quand tu arrives dans la chambre d’hôtel, il y a tous tes bonbons préférés, des montages photos de toi « Welcome Jordan ». Mon meilleur souvenir ça reste lors de ma visite à l’université de l’Idaho. Ils avaient fait un gâteau avec mon nom écrit dessus ! Bon honnêtement, les Américains ne sont pas des pros en terme de pâtisserie, mais il était pas mal !
Ils veulent que tu signes chez eux donc ils vont te faire passer le meilleur moment possible. Hôtel de luxe, beaux restos, visite de l’école, des infrastructures, on te fait poser avec le maillot. Vraiment, ils mettent le paquet.
Mais aussi beaucoup de pression sur toi. Disons que c’est plus facile pour eux de te faire signer pendant « qu’ils te tiennent ». C’est presque du lavage de cerveau. Par moments, j’étais à deux doigts de me laisser tenter mais je me suis ressaisi, j’ai voulu prendre mon temps. Je n’étais pas un jeune de 17 ans influençable.
Toutes ces visites étaient très protocolaires, pas une seule fois on m'a demandé de faire des tests physiques ou à me voir jouer. En fait, les quatre universités qui m’ont fait une offre ne m'ont jamais vu évoluer « en vrai ». Ils se fient aux vidéos qu’ils ont vues et aux rapports des scouts. J’ai eu des observations très élogieuses de leur part. Les observateurs américains m’ont catégorisé comme le meilleur français de ma génération. Ça a beaucoup influé sur mon recrutement.
Une fois rentré chez moi, j’ai reçu la visite des coachs de Buffalo. Ça a été un élément décisif pour moi. Le fait qu’ils se déplacent à trois pour te voir, ça montre qu’ils ont un réel intérêt.
Il faut aller dans l’école qui te veut le plus, pas celle que toi tu veux le plus. Et pour ça, il faut démêler le vrai du faux dans les promesses qu’on te fait. Il faut arriver à lire entre les lignes. Tu poses pleins de questions pendant ta visite notamment aux joueurs, car eux seront plus honnêtes avec toi. A Buffalo, il y avait des francophones dans l’équipe. J’ai pu bien parler avec eux.
Il faut aussi étudier l’effectif. Est-ce que j’aurais la chance de jouer rapidement ? Prendre en compte mon ressenti sur place. Est-ce que je me vois y passer les quatre prochaines années de ma vie ? A quoi ressemble les infrastructures, les logements. Toute cette réflexion va t’amener à prendre la bonne décision.
J’ai regardé aussi la valeur du diplôme scolaire, ce que ça m’apporterait pour la suite, sur le long terme. Buffalo est dans l’Etat de New-York donc l’école a des affiliations avec les Nations Unies. C’est important pour un stage au cours de mon cursus.
Le fait qu’ils aient sorti Khalil Mack, un joueur qui évolue à mon poste aujourd’hui en NFL, donne de la crédibilité à mon dossier. Et puis, j’aime bien le bleu, ça me va bien au teint ! Voilà toutes les raisons qui ont fait pencher la balance pour Buffalo.
Ça n’a pas été un choix facile. Toute cette période a été assez éprouvante : c’est beaucoup de pression. J’avais hâte que ça se termine. Les voyages, c’est cool, mais c’est fatigant. Tu traverses le pays, à droite à gauche, mais à côté, tu dois continuer à t’entraîner. Et surtout je devais bosser pour payer mes factures. J’étais entraîneur de basket pour des jeunes et je m’occupais de la sécurité dans une boite de nuit.
J’ai tellement bossé pour en arriver là. Je n’oublierai jamais lorsque j’ai reçu ma première offre de bourse. Je m’attendais à un cérémonial, mais non, ça s’est passé en deux minutes par téléphone.
La bourse regroupe tout : logement, nourriture, transport, déplacement, vêtements, frais de scolarité, livres. Tu n’as rien à payer. Elles sont régulées par la NCAA donc il n’y a pas de différences entre les universités.
La notion d’argent est assez tabou ici. Les joueurs de NCAA n’ont pas le droit d’être rémunéré. Une loi est passée en Californie, les choses vont peut-être changer ces prochaines années. Il faut dire que les athlètes rapportent beaucoup d’argent aux écoles… Mais, honnêtement, on n’est pas à plaindre.
Cette bourse me paye donc l’intégralité de mes quatre années de scolarité. Grâce à elle, je peux faire des études que je n’aurais pas pu m’offrir. Je peux ainsi vivre l’expérience d’être un footballeur américain à l'université. Et clairement, c’est comme dans les films ! Mais ça, je vous le détaillerai la prochaine fois…
Propos recueillis par Gwendoline NATALI