beIN Confidences : Je m'appelle Jordan, voici mon histoire...
Je m’appelle Jordan Avissey. J’ai 22 ans. Je suis né à Lomé au Togo. Je suis arrivé en France à 3 ans avec ma mère et mes deux sœurs. De 3 à 11 ans, j’ai habité à Nancy et on est ensuite partis à Orléans.
Je ne pratiquais pas de sport à cet âge-là. Ma mère, ma grand-mère et mes deux oncles formaient mon noyau parental. Il n’y a pas d’athlète dans ma famille. Chez nous, disons que nous sommes plus « intellectuels » : on travaille plutôt dans les livres ou dans le domaine de la santé.
Mon modèle était mon oncle, le frère de ma mère. Un fan de sport, mais sans pouvoir vraiment le pratiquer car il a souvent été malade dans sa vie. Mais tu peux lui demander qui a gagné la Ligue des Champions 1985, il va te donner le score exact. C’est un sportif de salon !
Mon meilleur ami au collège m’a parlé de l’équipe de basket locale, toujours à la recherche de nouveaux grands. Il m’a proposé de faire du basket et j’ai dit oui car… je ne faisais rien de mes journées. C’était mon meilleur ami donc je ne pouvais pas lui refuser ça. Cette rencontre a été décisive dans ma vie car si je ne l’avais rencontré, je n’aurais jamais fait de sport et je n’en serais jamais là aujourd’hui.
J’ai donc commencé à l’USM Olivet Basket et, sans le savoir, j’avais déjà des capacités athlétiques un peu innées : je sautais haut, je courais vite et le basket a été très naturel pour moi. Au bout de quelques mois de pratique, je suis recruté au centre de formation de l’Orléans Loiret Basket ! J’ai rejoint à 16 ans l’équipe cadets. Tout le monde était un peu surpris autour de moi au début. J’ai pris les choses comme elles sont arrivées. Cela m’a permis d’aller dans le meilleur lycée de la ville.
La première année au centre de formation se passe très bien : j’apprends vite, les coachs sont très satisfaits. Et, en plein match, après seulement quelques mois, je me brise le genou. Je me romps complètement le tendon rotulien sur un dunk. L’impulsion était tellement forte que mon tendon s’est rompu. Je sautais vraiment haut ! Passer d’une vie sans sport à une vie en centre de formation… mon corps l’a payé.
Même le chirurgien m’a dit : « Je n’ai jamais vu ça de ma vie ».
Je me fais opérer dès le lendemain et c’est le début d’une grosse galère.
Je me rappelle être dans la salle d’opération, voir ma mère et penser : « Ça me fait chier d’être une charge en plus pour elle ».
"Monsieur Avissey, un miracle si vous pouvez revenir à la pratique sportive d’élite."
Elle travaillait beaucoup et s’occupait déjà de mes sœurs et moi. J’ai vu mon ascension au basket s’écraser d’un coup. Je me réveille de l’opération, je suis dans ma chambre d’hôpital avec ma mère et les médecins débarquent. Très formels dans leurs propos, ils me parlent comme si j’avais 30 ans. Sauf que j’en ai 16.
« Monsieur Avissey, honnêtement, ça sera un miracle si vous pouvez revenir à la pratique sportive d’élite. »
Ok, je suis dans le lit, encore défoncé des médocs et de l’anesthésie, et on me dit ça… J’ai eu de la chance d’avoir eu beaucoup d’amour et de soutien de la part de ma famille et de mes amis qui venaient me voir tout le temps.
Le temps de la rééducation est venu. J’étais toujours au centre de formation de l’Orléans Loiret Basket. Ils m’ont vraiment aidé, bichonné pendant cette période. Le meneur de mon équipe s’était fait lui les croisés donc on s’est entraidés pendant la rééducation. On rigolait ensemble avant nos blessures en se disant qu’on était un peu les Shaq et Kobe de l’équipe, même si moi je jouais plutôt poste 3-4. J’ai passé un an et demi écarté des terrains, sans jouer.
Quand je suis revenu au basket, c’était un miracle. On avait tellement travaillé : j’étais devenu plus costaud, mon corps était prêt. J’ai gagné le respect au centre de formation grâce à ma détermination. Les coachs m’ont nommé capitaine et on a gagné l’un des premiers titres régionaux du centre. C’était extraordinaire. Cela m’a fait réaliser à quel point j’étais capable d’accomplir des choses juste par ma volonté.
J’ai eu beaucoup d’appréhension au moment de refouler les parquets et c’est là qu’il y a eu un hic. Je sentais mon genou différent d’avant l’opération. Avec cette impression qu’il n’était plus adapté à la pratique du basket. Cela ne « cliquait plus » entre le basket et moi. En plus, j’ai toujours eu un style de jeu très agressif.
Mon idole, c’était Dennis Rodman. J’étais capitaine mais je ne marquais pas beaucoup : j’allais prendre 15 rebonds, 7 contres. J’ai toujours eu ce retard technique par rapport aux autres.
Je me disais : « A quoi ça sert d’essayer de shooter si tout le monde veut le faire ? » Je me suis spécialisé dans ce que les autres ne voulaient pas faire. J’aimais m’occuper du « sale boulot ».
Dans la foulée, un gars de ma ville m’a parlé du football américain à la fin de cette saison-là. Il m’a dit que j’avais le gabarit pour essayer, que je pouvais jouer receveur, un gros receveur et progresser très rapidement.
Je lui ai dit : « Pourquoi pas ? ».
J’ai donc commencé le foot US vers 19 ans avec les Chevaliers d’Orléans, un club de troisième division. Au premier entraînement, je n’avais pas de crampons, je suis arrivé en LeBron. Je jouais receveur et ça s’est bien passé : on me lançait les balles et j’attrapais tout. J’étais plus grand, plus costaud. Aussi simplement que ça, j’ai commencé le foot et j’ai abandonné le basket. Je me souviens qu’au départ, beaucoup de gens étaient dubitatifs. Le foot US n’est pas très connu en France. J’ai tout entendu : on m’a même parlé de rugby américain… j’ai tout entendu !
Après quelques mois de pratique, je reçois un message Facebook d’un recruteur d’un lycée. Au Canada. Il me dit qu’il est recruteur au Cégep de Thetford, qu’il y a un joueur de l’effectif qui vient de ma ville.
« On t’a vu sur des photos en train de dunker donc on a supposé que tu étais un athlète. Je ne te promets rien mais tu peux tenter l’aventure chez nous. »
Concrètement, il m’explique qu’il recherche de nouveaux talents. Je venais d’obtenir mon Bac ES avec mention.
J’en ai parlé à ma mère « Vas-y mon fils, c’est l’opportunité d’une vie. »
J’ai toujours eu comme projet d’aller outre-Atlantique et c’était une proposition qui tombait de nulle part. Je n’ai pas hésité et quelques mois plus tard, j’étais dans l’avion direction le Québec pour une nouvelle vie.
Il faut savoir que ce lycée a une marque de fabrique : les Français. Plus de la moitié de l’effectif de football américain est composé de Français. L’école est au milieu de nulle part. Il n’y a que des mines d’amiante, partout ! Il y a une grande rue, un McDo et c’est à peu près tout ! D’ailleurs, le nom de la ville, c’est Thetford Mine. Je suis accueilli à l’aéroport par le coach de la ligne défensive et le coach des receveurs.
Comme ils ne me connaissent pas vraiment, ils me demandent : « Jordan, tu joues quelle position ? »
Je ne sais pas pourquoi mais je réponds que je joue ligne défensive. Je m’adapte à l’accent québécois, ce n’est pas évident au début. C’était même un peu drôle.
Mais le haut niveau sportif, c’était un monde que je connaissais déjà. Se lever à 6 heures, etc... J’étais déjà habitué et avoir trois entraînements par jour, ça n’a pas été un choc. C’était la base : la discipline et la rigueur. En revanche, j’ai dû m’adapter au football. C’était l’Amérique, la terre de ce jeu. Il y a des gars qui y jouent depuis l’âge de 7-8 ans. Moi j’ai commencé le foot quelques temps avant. Mais je me bats : après les entraînements, je reviens, je fais de l’extra, je regarde des vidéos pour apprendre et devenir meilleur. Le premier match de la saison, je suis titulaire. Tout se passe bien et je deviens un joueur dominant dans la Ligue pendant mes saisons à Thetford.
J’étais un leader de l’équipe. Une surprise même pour moi.
Le football, je le reconnais, je prenais un peu ça à la légère. Dans mon équipe, il y avait beaucoup de gars qui parlaient d’aller en NCAA. Moi, j’étais plus discret, très humble. Je me disais que ça serait bien déjà d’aller dans une université au Canada. A la fin de mon cursus à Thetford, j’ai eu des opportunités pour aller jouer dans des écoles au Canada mais il y a eu beaucoup de galères au niveau administratif.
Ça m’a fait déchanter.
Entre temps, j’ai été appelé par l’équipe de France seniors pour le Championnat d’Europe 2018. On part en Finlande, on est champions d’Europe pour la première fois. Je suis là, je passe à la télé, ma famille me regarde. C’était juste un rêve pour un petit gars qui a commencé aux Chevaliers. Un rêve éveillé.
Après cette aventure extraordinaire, je suis revenu au Canada, déterminé à régler mes affaires mais ça n’a pas fonctionné… J’ai dû abandonner mon rêve de jouer à l’université au Canada à cause de papiers ! A cause de papiers... C’était dur mais j’avais fait trop de sacrifices dans ma vie pour le sport. Ça ne pouvait pas s’arrêter là, il fallait que je m’en sorte.
Et là, j’ai rencontré Brandon Collier ! Un ancien joueur NFL expatrié en Allemagne qui jouait defensive end aussi. Il a un réseau de joueurs européens qu’il présente aux universités en NCAA. Il est venu me parler sur Facebook pour me demander si j’avais des « highlights ».
Avant de me lancer : « Je vais être honnête avec toi, je te vois jouer en division 1 en NCAA et devenir un joueur NFL plus tard ».
Je n’y croyais pas au début. Mais il suffit qu’une seule personne croit en toi pour changer toute la perception de ton univers.
"Comme j'étais Français, je partais de loin..."
Avec Brandon, on a tenté l’aventure pour essayer d’entrer en NCAA. Je rentrerai dans le détail la prochaine fois mais il faut d’abord se faire connaître via les réseaux sociaux. Cela a été un long processus, c’est un peu comme une longue marche dans le désert où tu toques à des portes mais personne ne répond. Et comme j’étais Français, je partais de loin.
Pour ma famille, ce rêve américain, c’était un peu une utopie. Il fallait que je reste dans ma bulle, j’étais encore au Canada mais j’étais seul. C’était au mental. Mon visa arrivait à son terme, je n’avais plus d’assurance maladie, j’étais « on my own ». Je ne pouvais pas demander d’argent à ma mère pour aller aux Etats-Unis donc je devais me débrouiller. Il fallait que je sois mon plus grand fan. Mais je suis très croyant donc je me disais que quelque chose de bien allait arriver.
Un jour, encore le destin !
Un coach renommé a vu mes vidéos d’entraînement, il a accroché et il est tombé amoureux de ce qu’il a vu. Il a repartagé mes vidéos partout en écrivant : « Jordan Avissey, he’s a monster, he’s a freak ». Il est suivi par des dizaines de milliers de personnes aux Etats-Unis. A partir de ce jour-là, mon téléphone n’a pas arrêté de sonner.
Des coachs de Virginia, de North Carolina et de Miami m’ont appelé : « Mais où est-ce que tu te cachais depuis tout ce temps ? Comment ça se fait qu’on ne te connaissait pas ? » C’est là que j’ai reçu plein d’offres. Les coachs prenaient l’avion pour me rencontrer et tenter de me convaincre de les rejoindre. C’était incroyable ! J’ai visité plein d’universités et je me suis engagé avec celle de Buffalo.
"Je prends tout ça avec beaucoup de légèreté !"
Avant d’arriver à l’université, j’ai eu la chance d’être accueilli en Floride par un coach spécialisé qui s’est occupé de ma préparation physique. Je quitte le froid et le charbon pour les palmiers. Avec un nouveau statut à honorer. Les scouts m’ont classé comme meilleur joueur de ma génération en France. Ils disent que Buffalo est tombé sur une pépite. C’est un honneur pour moi mais je prends ça avec beaucoup de légèreté.
Je sais que tout peut s’arrêter très vite dans le sport donc je me dis : « Profite mais garde la tête froide car ces gens-là ne seront pas toujours là pour toi. »
Aux Etats-Unis, le football est une religion donc je découvre un autre monde. Mais je vous raconterai mes premiers pas à l’université une autre fois. Sachez juste que ma première saison avec les Buffalo Bulls s’est terminée en décembre avec un sacre au Bahamas Bowl. Le premier pour l’université. Là, on va bientôt recevoir la bague de champions.
Le coach m’a dit avant de partir : « On attend de toi que tu sois un leader pour l’équipe la saison prochaine, que tu guides les autres. » Le début d’un nouveau chapitre de ma vie : celle d’un gamin qui, à 15 ans, ne faisait pas de sport au Bahamas Bowl sur ESPN.
L’histoire du « French Fr96k », mon histoire.
Propos recueillis par Pierre Godfrin