Loïs Boisson, la rafraîchissante révélation de Roland-Garros
Inconnue du grand public et même d'une large partie du circuit WTA, Loïs Boisson est l'immense surprise de ce Roland-Garros 2025, dont elle dispute mercredi les quarts de finale.
Même la directrice de Roland-Garros Amélie Mauresmo n'aurait sans doute pas misé un euro sur un pareil scénario. "L'enjeu, c'est de voir comment les invitées vont se comporter. Est-ce qu'elles vont réussir à saisir leur chance, à gagner un match, voire deux ? Ce serait déjà un vrai succès" lançait-elle juste après le tirage au sort du tableau dames. Deux semaines plus tard, non seulement Loïs Boisson a fait honneur à la "wildcard" qui lui a été octroyée. Mais elle est surtout devenue une des plus belles histoires du tennis français ces dernières années dans son tournoi du Grand Chelem.
A 22 ans, Loïs Boisson ne sort pas tout à fait de nulle part. Mais de très loin, c'est une certitude. Son éclosion aurait pu intervenir il y a un an à la même époque. La jeune Tricolore surfait alors sur une dynamique exceptionnelle dans le circuit ITF, l'échelon en-dessous de la WTA, avec 23 victoires sur 24 matchs disputés sur terre battue. Ces résultats lui avaient offert l'invitation pour Roland-Garros délivrée à la joueuse française aux meilleurs résultats sur la première partie de saison. Boisson s'était alors sérieusement blessée au genou (rupture du ligament croisé antérieur gauche) déjà sur la terre battue parisienne, celle du Trophée Clarins (WTA 125). La guigne, après avoir déjà manqué la quasi-totalité de la saison 2022 à cause de son épaule souffrante.
Un vrai jeu de terrienne
Loïs Boisson n'est revenue à la compétition qu'en février dernier, ne remportant qu'un seul match sur le circuit principal depuis. La voilà désormais en quart de finale de Roland-Garros, un des parcours les plus improbables de l'histoire, ni plus, ni moins. Improbable oui, mais tout sauf immérité. De sa victoire au premier tour en écartant la tête de série 24, la Belge Elise Mertens et sa qualification sensationnelle en huitièmes de finale contre la troisième joueuse mondiale, Jessica Pegula, Boisson s'est révélée vitesse grand V.
"Si j'avais regardé ce match (contre Pegula, ndlr) sans connaître le CV de Loïs Boisson, j'aurais dit que je venais de voir évoluer une top 20 disposant du jeu parfait pour la terre battue" clame Mats Wilander, septuple vainqueur en Grand Chelem, dans L'Equipe. "Mon style de jeu s'accorde bien à la terre, c'est là que je me sens le mieux" confirme l'intéressée. Et ceux qui la suivent depuis de nombreuses années sont peut-être surpris par la soudaineté de son explosion, mais qu'elle puisse avoir lieu.
"Dans le tennis féminin, elles sont peu nombreuses à avoir cette faculté à mettre l'adversaire très loin de la balle en deux coups de raquette" explique sur Eurosport Georges Goven, ancien joueur et entraîneur qui avait poussé pour que Boisson reçoive sa première invitation pour les qualifications de Roland il y a trois ans. "Il y a Sabalenka, il y a Swiatek de temps en temps, Coco Gauff et il y a Loïs Boisson sur terre battue. Quand elle prend le jeu en main avec son coup droit, elle est assez exceptionnelle, elle a une 'gicle', une capacité à trouver des zones sûres et performantes."
"Quand elle frappe la balle, elle peut jouer un peu comme Rafael Nadal"
Ce coup droit est passé en dix jours d'un secret bien gardé à une arme redoutable. Avec 82 coups gagnants de son coup droit, La Française de 22 ans compte le meilleur total des huit joueuses encore en lice avant les quarts de finale. Des références comme la numéro une mondiale Aryna Sabalenka ou la triple tenante du titre Iga Swiatek sont pourtant toujours dans le tableau. "Tout ce qu'elle veut faire, c'est frapper des coups droits", résumait Jessica Pegula lundi face aux médias. "Elle se déplace vraiment très bien, elle va très vite donc elle est très forte pour se décaler et frapper des coups droits. C'est vraiment lourd comme balle."
Contre l'Américaine, Boisson n'a pas hésité à user de coups en apparence inoffensifs (slice de revers, balle bombée sans puissance) mais terriblement gênants pour son adversaire afin de mieux pouvoir se replacer et repartir de l'avant avec son atout majeur. "Son coup droit est puissant, avec beaucoup d'effets et de puissance" analyse l'Italienne Francesca Schiavone, vainqueure porte d'Auteuil en 2010 et consultante pour ESPN. "Quand elle frappe la balle, elle peut jouer un peu comme Rafael Nadal : une balle rapide et haute."
La comparaison est ô combien flatteuse, un peu plus encore au vu du pedigree de Loïs Boisson, comparé à "Rafa" qui avait déjà de premiers dégâts sur le circuit ATP avant de mettre le tennis à ses genoux sur l'ocre parisien. La Française bouleverse les annales : avec sa 361e place au classement WTA, aucune joueuse n'avait atteint les quarts de finale de Roland-Garros sur ces 40 dernières années en étant aussi loin dans la hiérarchie féminine. Pas mal pour un tout premier tournoi du Grand Chelem en carrière ! Avant Boisson, seules quatre joueuses s'étaient qualifiées pour les quarts de finale du tout premier Majeur de leur carrière.
Une confiance en elle inébranlable
Cette quinzaine à Roland-Garros va d'ores et déjà faire décoller sa carrière. Pour son matricule tout d'abord, alors qu'elle d'ores et déjà assuré de grimper d'au moins 240 places au classement mondial (121e), quel que soit son résultat mercredi en quarts de finale. Une éventuelle demi-finale et elle grimperait dans le Top 100 directement au 65e rang… Et comme meilleure Française du circuit. La révélation de Loïs Boisson est d'autant plus retentissante qu'elle arrive en pleine période noire pour les Bleues, en crise totale de résultats, et qui perdront leur ancienne cheffe de file, Caroline Garcia, qui prendra sa retraite en fin de saison. La Dijonnaise est un rayon de soleil bienvenu, comme le tennis tricolore n'osait pas en espérer de sitôt, huit ans après les deux dernières Françaises en quarts de finale porte d'Auteuil (Garcia et Kristina Mladenovic).
Pour la confiance, ce tournoi est un accélérateur idéal. Roland-Garros lui a permis de s'étalonner face à un gratin mondial qu'elle ne croise habituellement pas. Comme Petra Kvitova, ancienne numéro deux mondiale, avec qui elle a pu s'entraîner lors de la semaine d'entraînement qu'elle a pu effectuer avant le début du tournoi. Son succès sur la tête de série numéro 3 Jessica Pegula n'a fait que renforcer sa conviction. "Gagner Roland, c'est un rêve et un objectif. Être en quart, c'est une étape", a-t-elle ajouté en conférence de presse. J’espère aller plus loin et pourquoi pas gagner, si je peux. En tout cas, je ferai de mon mieux."
Question mental, Loïs Boisson a déjà donné de sacrés gages. La fille de l'ancien basketteur Yann Boisson a eu les nerfs assez solides pour écarter quatre balles de débreak sur son dernier jeu de service, à 5-4 contre Pegula. Sa balle de match ? Du tableau noir, avec un service extérieur surpuissant, flashé à 190 km/h pour faire sortir Pegula du court, avant de la crucifier d'une balle liftée sur laquelle l'Américaine resta bien trop courte. "Je suis rentrée sans plus de pression que sur les autres matchs", assurait-elle après son premier match sur le central de Roland-Garros. "Mon bras était assez libre. Plus je joue des matchs ici, mieux je me sens."
Se dresse désormais face à elle un nouveau défi, faire tomber la Russe Mirra Andreeva, qui sait aussi y faire question précocité, elle qui avait atteint le dernier carré pour sa première participation l'an passé, à seulement 17 ans. "Ce n'est pas parce qu'on bat la 3e mondiale que la 6e va être moins forte", prévient Loïs Boisson. "Ce sera un type de jeu différent. Elle varie bien plus son jeu. Elle a un très bon revers, elle est très solide des deux côtés du court. Je crois qu'il faut que je m'attende à de nombreux rallyes difficiles. Mais cela ne va probablement pas changer mon plan de jeu. J'adapterais peut-être quelques détails, mais je ne vais pas tout changer." A quoi bon bouleverser une si belle histoire ?