Le French Prince pas encore roi à New York
Retour sur le début de la carrière américaine d’un môme qui en six mois a enjambé l’Atlantique, en partant de Strasbourg, pour devenir un des visages d’une franchise mythique.
En juin dernier, le tout jeune Frank Ntilikina faisait une irruption remarquée en NBA, devenant le plus haut choix de draft français de l’histoire en étant sélectionné en huitième position par les New-York Knicks. La franchise new-yorkaise a misé sur ses qualités physiques, défensives et son expérience tellement plus grande que son âge : Frank a déjà mené son pays à la victoire au championnat d’Europe U18 et effectué une saison entière au niveau professionnel, jouant même les Finales de Pro A à 18 ans.
Une mise en route compliquée
A New York, la pression est immédiate. Malgré le départ de la star locale Carmelo Anthony, les fans des Knicks demeurent parmi les plus exigeants de la ligue. Demandez à Kristaps Porzingis, hué il y a deux ans le soir de la draft alors même qu’il n’avait pas foulé les parquets américains. Ce n’est pas ça qui va déranger notre « Francky » national, qui paraît insubmersible et terriblement concentré sur son basket. Ce sont plutôt des petits problèmes physiques, qui contrarient ses premiers pas.
Gêné à la cheville, il ne dispute qu’un seul match de pré-saison. Et pour sa grande première, il est l’auteur d’une prestation cataclysmique contre Russell Westbrook et le Thunder : 0 point, un petit rebond et une balle perdue (plus deux beaux air-balls à mi-distance) pour 7 courtes minutes de jeu qui convaincront son coach de le rappeler sur le banc pour le restant de la rencontre. Pas prêt, Ntilikina va prendre une semaine de repos avant de revenir à la compétition pour marquer ses premiers paniers contre Brooklyn le 27 octobre (9 points et une victoire 107-86).
Des statistiques peu reluisantes
En NBA, tout ou presque est question de statistiques. Et ce n’est pas franchement favorable à Ntilikina, qui peine à avoir une influence chiffrée sur le jeu de l’équipe. Si son temps de jeu est correct (quasiment 22 minutes), il ne marque que 5,8 points par match. Et malgré quelques coups d’éclat épisodiques (comme son shoot à 3-pts dans le money-time contre les Pacers le 5 novembre ou sa pointe à 13 points contre les Lakers le 12 décembre), Frank peine à se montrer régulier dans une équipe qui joue pourtant bien au basket cette saison : sur ses 37 premiers matchs disputés, il n’a atteint la barre des 10 points qu’à trois reprises…
Si cela n’a rien d’étonnant pour un rookie, les pourcentages au tir du Français sont très faibles : 36% au tir (!), 32% à 3-pts et 69% aux lancers. Seuls 4 joueurs ayant un volume de tir égal ou supérieur à celui du Français ont un pire pourcentage au tir (Stanley Jonhson, Jawun Evans, Marcus Smart et Lonzo Ball). Dans le même rôle de meneur remplaçant à la SIG la saison dernière, il atteignait 48,5% au tir et un très joli 43% à longue distance…
Tout n’est pas noir, bien sûr. Frank tourne également à 2.3 rebonds et 3.4 passes décisives par rencontre, des moyennes tout à fait honorables pour un rookie dans ces secteurs de jeu. Sa vision du jeu défensive lui permet même d’être dans le Top 10 au nombre d’interceptions rapportées à 48 minutes (c’est-à-dire à temps de jeu équivalent).
Trop altruiste pour la NBA ?
On a bien compris que défendre n’est pas un souci pour ce meneur grand pour son poste et possédant une envergure extraordinaire. Par ses longs bras et son sens de l’anticipation, il s’est rapidement mué en chef de la défense des Knicks. N’hésitant pas à prendre les meilleurs extérieurs adverses, l’ancien de la SIG n’a pas de souci de ce côté-là du terrain.
C’est du côté offensif que l’on peut douter quelque peu de la progression future du Frenchie. Plus que ses qualités intrinsèques, c’est son style de jeu qui pourrait constituer sa plus grande limite. Contrairement à ses petits camarades de draft qui étaient habitués en tant que top-prospects à tirer la couverture à eux en championnat universitaire, Ntilikina n’a jamais été « franchise player » nulle part. Pour preuve, mis à part les deux blessés Isaac (Orlando Magic) et Fultz (Philadelphia 76ers), aucun joueur du Top 10 de la dernière Draft ne prend moins de tirs ni ne marque moins de points de Ntilikina.
En effet, le joueur semble avoir une tendance naturelle à passer la balle plutôt qu’à shooter, et cette caractéristique était déjà visible la saison dernière. Il est devenu un bon joueur de collectif mais dès qu’il s’agit de prendre les choses en main, Ntilikina ne semble pas encore en mesure de le faire, comme en témoignent ses pourcentages au tir, alors que ses qualités physiques, sa vitesse et son tir extérieur devraient sur le papier lui permettre de prendre beaucoup plus de possessions à son compte. Cette stagnation dans son nombre de tentatives et de points marqués ralentit terriblement sa progression offensive globale, et empêche le Français de grappiller plus de temps de jeu.
De plus, cet aspect de son jeu pourrait être la raison qui pousse son coach Jeff Hornacek à ne toujours pas le titulariser, alors que Jarrett Jack avec son contrat non-garanti est loin de constituer un titulaire inamovible à la mène. Cependant, Jack a plus d’expérience et un style de jeu (meneur gestionnaire) semblable à celui du Français, pour l’instant incapable de montrer qu’il peut apporter plus.
LeBron James, Dennis Smith Jr, et une concurrence exacerbée à son poste
Certes, le « French Prince », comme le surnomment les médias outre-Atlantique, apporte de la dureté défensive et un état d’esprit positif à son équipe, et il serait erroné de le juger comme pas fait pour la NBA après cette première demi-saison. Mais les rookies font l’objet de beaucoup d’exigences dans la Grande Ligue, et la densité de son poste et sa cuvée de draft rendent inévitables les comparaisons incessantes avec des joueurs comme deAaron Fox (Sacramento Kings) mais surtout Dennis Smith Jr (Dallas Mavericks), avec qui il était en balance le soir de la Draft.
Le fait qu’il ait devancé le meneur des Mavs le soir de la Draft a d’ailleurs beaucoup fait jaser. Les Américains n’aiment en général pas beaucoup que l’on choisisse des joueurs internationaux avant leurs petits protégés, et c’est LeBron James himself qui est monté au créneau dans ce qui est devenu une des petites histoires de la saison, un soir de novembre, le 12 précisément. LeBron James affirme que les Knicks n’auraient jamais dû laisser passer Dennis Smith Jr avec le 8e choix, tandis que le meneur a finalement été choisi par Dallas juste après. Si le King veut par là critiquer l’ancien dirigeant de NY Phil Jackson, difficile de ne pas y voir un désaveu de Frank Ntilikina. S’ensuivra une séquence mythique lors d’un Cleveland-New York le 14 novembre, avec le French Prince venant nez à nez avec LeBron sur une remise en jeu, avant d’être soutenu par Enes Kanter et tout le public de Big Apple.
Cette polémique illustre à merveille les attentes existantes autour de Ntilikina. Sa sélection dans le Top 10 de la Draft ne lui laisse quasiment aucune marge d’erreur et personne ne se gardera de lui rappeler. A un poste ultra-concurrentiel en NBA, renforcé par une cuvée de rookies hors norme (Simmons, Fox, Fultz, Smith Jr, Ball), le jeune Français va devoir faire ses preuves plus rapidement. Son faible rendement statistique ne peut pas être excusé par le fait de jouer dans une équipe de haut de tableau (les Knicks sont 10e à l’Est) et ses concurrents directs cités précédemment ont tous une influence supérieure sur le jeu de leur équipe.
Le gamin a prouvé avoir la force de caractère et le talent nécessaires pour s’imposer dans la meilleure ligue de monde, et il forme avec Porzingis un duo très complice sur le terrain. Si son bulletin de notes jusque-là est loin d’être catastrophique, il a toutes les cartes en main pour monter en régime sur la deuxième partie de la saison.
V. Garabedian
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