Euro 2020 : Xhaka et Shaqiri, des Balkans aux clés de la Nati
Mêmes racines albanaises, même alliage de hargne et de technique: face à l'Italie mercredi, Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri porteront les espoirs d'une Suisse multiculturelle.
"On veut marquer l'histoire et je pense que c'est le bon moment", lançait crânement Xhaka avant le début de l'Euro, assumant l'ambition de la "Nati" d'enfin franchir les huitièmes de finale, son plafond lors des Mondiaux-2014 et 2018 et de l'Euro-2016. Encore faudrait-il sortir des poules. En se faisant rejoindre au score samedi (1-1) par des Gallois à leur portée, les Suisses ont dilapidé un joker et devront résister mercredi (21h sur beIN SPORTS 1) à une Italie impressionnante à domicile, puis dominer la Turquie dimanche.
Euro 2020 : Le pays de Galles frustre la Suisse
Le sélectionneur Vladimir Petkovic compte pour cela sur deux hommes clés, indissociables en sélection depuis dix ans, passés l'un comme l'autre par le FC Bâle, la Bundesliga puis la Premier League, et aussi dissemblables que possible sur un terrain. L'ancien capitaine d'Arsenal Granit Xhaka, qui porte le brassard en sélection, tient la baguette en relayeur altier (1,85 m). A 28 ans, il brille plus par la précision de ses ouvertures du gauche ou la puissance de ses frappes lointaines que par sa couverture défensive. Lutin bâti comme un haltérophile (1,69 m), Shaqiri, 29 ans, aime semer la pagaille balle au pied depuis son aile droite. Il est capable de buts splendides, comme son ciseau de l'Euro-2016 en huitième de finale face à la Pologne.
Au nom du père
Avant même que leurs parcours sportifs ne s'entrecroisent, leurs histoires personnelles les rapprochent, emblématiques d'une Suisse remodelée par l'immigration politique et économique et qui compte un quart d'étrangers sur son territoire. Si Xhaka naît à Bâle, son père "était un fier Kosovar", contraint de fuir l'ex-Yougoslavie en 1990 après avoir passé trois ans et demi derrière les barreaux pour avoir manifesté contre le pouvoir communiste, racontait le milieu d'Arsenal en 2017 au Guardian. "Ses premiers mois en prison ont été OK. Mais ensuite, les coups ont commencé", poursuivait-il, disant avoir "grandi avec la force mentale" de son père comme modèle - tout comme son frère aîné Taulant, milieu du FC Bâle et de l'Albanie.
Xherdan Shaqiri est lui né dans l'actuel Kosovo, un an avant que ses parents ne filent à Bâle, enchaînant plonges, chantiers et ménages pour compenser leur méconnaissance du suisse-allemand et envoyer de l'argent au pays bientôt frappé par la guerre. Dans la "vieille, vieille" maison, sans autre chauffage qu'une cheminée, le petit Xherdan "court comme un fou" pour ne pas trop refroidir et reçoit pour ses sept ans une réplique bon marché du maillot brésilien de Ronaldo, confiait-il en 2018 au site The Players' Tribune. "J'étais le seul immigré de mon école, et je ne pense pas que les enfants suisses comprenaient pourquoi j'étais si obsédé par le football. En Suisse, le football n'est qu'un sport, ce n'est pas vital comme dans d'autres pays", ajoutait-il.
Provocation et amende
Réunis au sein du FC Bâle, les deux joueurs se révèlent à l'Europe à peine sortis de l'adolescence, quand le club helvète se qualifie en décembre 2011 en huitièmes de finale de Ligue des champions au détriment de Manchester United. L'été suivant, Xhaka part à Mönchengladbach où il surmonte une adaptation difficile pour se voir confier le brassard de capitaine, avant de s'imposer à Arsenal à partir de 2016, malgré les critiques des supporteurs face à ses coups de sang et pertes de balle. Transféré au même moment au Bayern, Shaqiri connaît une ascension moins linéaire: il démarre en trombe à Munich avant d'être relégué sur le banc, passe une demi-saison à l'Inter Milan, renaît à Stoke City, et piaffe à Liverpool depuis 2018 dans un rôle de joker.
Si la sélection les repose de leurs péripéties en club, ils déclenchent ensemble une vaste polémique lors du Mondial-2018: renversant le score face à la Serbie (2-1) en poules, ils célèbrent leurs buts en mimant l'aigle symbole de la Grande Albanie. La Fifa minimise l'incident malgré la fureur de Belgrade, optant pour une simple amende, mais la Suisse s'interroge alors sur la loyauté de ses binationaux, devenus majoritaires au sein de la Nati. Trois ans après, le poids sur leurs épaules n'est plus que sportif: la "Nati", après une décennie de progrès et d'espoirs déçus, rêve de son premier quart de finale pour entamer ses "années folles", écrivait récemment le journal Le Temps.