beIN Confidences - Amale : "Si je peux donner de l'espoir grâce au catch"
Depuis que je suis petite, à chaque fois que j’ai envie de faire quelque chose, on me dit : « Non, tu es une femme, tu ne fais pas ça ». Je voulais faire du foot étant plus jeune : « Non, c’est pas pour les filles ».
C’était pareil pour le catch.
Mais j’ai envie de montrer que peu importe que tu sois une fille ou un garçon, il faut juste travailler pour et ça arrivera. Le catch est une pratique atypique mais tout le monde peut en faire tant qu’on s’en donne les moyens. Peu importe d’où tu viens et qui tu es, tu peux réussir tout ce que tu veux dans la vie. Si je peux donner un peu d’espoir aux femmes en France, ouvrir des portes aussi car je sais qu’il y a plusieurs catcheuses françaises qui aimeraient bien se lancer. Avant que je signe à la WWE (World Wrestling Entertainment), la fédération de catch la plus puissante au Monde, tout le monde disait : c’est impossible qu’ils signent avec une Française !
La preuve que non. Mais je suis allée la chercher cette signature…
J’ai commencé à regarder le catch vers 13-14 ans. Mon papa était fan donc à chaque fois que ça passait à la télévision, il regardait avec mes 4 frères. C’était devenu un peu un rituel. A chaque fois qu’il y avait du catch à la télévision, on se réunissait en famille et on regardait.
Et puis un jour, j’ai regardé où il y avait des shows et des entraînements de catch pas loin de chez moi. J’habitais alors dans le Sud de la France et je suis rentrée en contact avec une fan de catch, je crois me souvenir que c’était sur un forum de Skyrock ou un truc du genre.
Elle m’a sorti : « Il y a un show de catch amateur pas loin, ça te dit d’y aller ? »
Je ne la connaissais pas du tout, on ne faisait que parler. J’y suis allée et j’ai adoré : « C’est comme à la télévision en fait, moi aussi j’ai envie d’essayer ! »
On s’est motivées toutes les deux et on est parties dans cette école de catch. On a fait notre premier entraînement ensemble à 15 ans. Je suis revenue avec des bleus partout. J’avais un mal de crâne à cause des chutes car on n’apprend que les bases au tout début.
J’ai vu directement l’envers du décor : le catch, c’est physique et ça fait mal. Quand on regarde à la télévision, on se dit que c’est très facile, super fluide. Je m’étais dit que j’allais arriver sur le ring et faire des cascades mais, après la première chute, on a mal, on a le souffle coupé et je me rappelle que mon amie a pleuré. C’était son seul entraînement du coup…
Je n’avais pas dit à mes parents que j’étais allée faire mon premier entraînement donc quand je suis rentrée, ils n’étaient pas contents… Ils n’étaient pas pour que je pratique. Ils m’ont dit que je devais faire des études et que le catch était plus un hobbie qu’un métier. Pourtant, ce n’était pas mon dernier entraînement, loin de là…
Pour satisfaire mes parents, j’ai fait des études en de droit, j’ai eu un Master en droit pénal. J’ai eu divers diplômes en sciences criminelles et en victimologie. A la base, je voulais entrer dans la police pour être commissaire ou inspectrice et ne pas débuter en bas de l’échelle. Mais je me suis dit que ça prendrait trop de temps. Il y aussi une ingratitude par rapport à la police et je ne voulais pas vivre ça. Et le fait d’être une femme d’origine maghrébine, ça aurait été assez compliqué à gérer pour moi.
A la suite de ça, je me suis dit : « Mais je vais faire quoi maintenant ? Passer des concours ? Mais je n’ai pas envie, j’ai envie de continuer à faire du catch. »
Après avoir eu mes diplômes, j’ai quitté le cocon familial pour partir dans le Nord de la France car, dans le Sud, il n’y avait pas de structures de catch.
Là, j’ai commencé à m’entraîner sérieusement. Je disais à mes parents que j’étais dans mes études, que je travaillais, mais dans ma tête, il fallait que je perce dans le catch. J’ai commencé à m’entraîner pour de bon sans leur dire. Dans le Nord de la France, j’ai trouvé plusieurs structures et j’ai commencé à enchaîner entraînements et séminaires un peu partout en France. A côté de ça, il fallait que je vive. Car le rêve américain était quand même assez loin de ce qu’il se passait en France : des petits shows avec peu de moyens et de spectateurs. Je voyais que ça n’allait m’amener nulle part. C’est là que j’ai décidé de trouver un métier stable, histoire de sécuriser mon avenir.
« Qu’est-ce que je vais faire maintenant ? »
Je voulais passer des concours mais je ne savais pas trop quoi. Du coup, j’ai trouvé un petit travail en tant qu’assistante d’éducation dans un collège. Là, j’étais au contact des élèves, ça se passait super bien, ils m’appelaient « la Catcheuse ». Ça m’a motivée pour tenter de devenir prof’ : il fallait juste que je repasse un Master en enseignement. J’avais envie de vivre pour moi et de faire ce que j’avais envie de faire. Je me suis dit que c’était un bon compromis d’être professeure des écoles car je pouvais avoir mes vacances scolaires et mes week-ends pour aller catcher pendant ces moments-là.
Je passe mon concours et je vais être honnête : je n’y croyais pas vraiment. Je n’ai pas fait d’études dans ça, je débarque, je m’inscris au concours et je le passe. Finalement, ça s’est super bien passé, j’ai été bien classée et j’ai été affectée vers Beauvais.
Cependant, en 2018, j’ai failli arrêter le catch. Je voyais que personne ne me donnait pas ma chance. Par exemple, le catch est scripté et scénarisé. Les gagnants sont prédéfinis à l’avance etc. A chaque fois que j’arrivais, on me mettait toujours perdante. Je sentais un fond de racisme aussi… Je m’entraînais beaucoup à la salle de sport. J’ai beaucoup amélioré mon physique et je pense que j’étais assez loin au-dessus de toutes les autres nanas en France. Je m’entraînais plus que les autres donc ça n’était pas juste. Ok, c’est un sport qui est scénarisé mais il y a une notion de mérite qui doit être là quand même… Je me disais que je n’avais pas ma place dans ce milieu-là. C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait que je me reprenne en main.
C’était une période assez compliquée.
Et c’est au moment où je voulais tout abandonner que j’ai reçu un mail de la WWE. Ils m’ont annoncé leur arrivée prochaine en Allemagne pour organiser un entretien d’embauche, un « try out ». Ils m’ont demandé si je voulais en faire partie.
« C’est ma chance et s’ils me disent non, j’arrête le catch. »
Pendant ce « try out » à Cologne, il y avait 44 participants et on était 6 Français. C’est hyper encadré et forcément intimidant. Dès qu’on arrive, ils nous mettent face à la caméra et nous disent de nous vendre en une minute. A cette époque-là, je ne parlais pas très bien anglais donc j’ai baragouiné quelque chose, avant de parler un peu français et arabe. Je me rappelle que c’était une catastrophe… Je n’étais pas prête du tout, comme tous les Français.
Après c’était très physique, ils voulaient nous pousser à bout pour voir ce qu’on avait dans le ventre. Si tu rates quelque chose, cela n’est pas grave tant que tu te relèves et écoutes les conseils. Ils veulent voir si tu te donnes à fond et si tu es facile à entraîner. Il fallait juste montrer qu’on en voulait même si on ne réussissait pas tout. A la fin du « try out », ils ont sélectionné 5 ou 6 personnes et j’en faisais partie. J’étais la seule Française.
Les coachs m’ont ensuite prise à part pour me donner des conseils. Et une personne assez haut placée à la WWE m’a dit : « You deserve to be here » (Tu mérites d’être ici) car elle voyait que j’étais un peu perdue et elle voulait me rassurer. Cette phrase résonne encore dans ma tête et elle m’a suivie jusqu’à la signature de mon contrat deux ans plus tard, oui deux ans. Ils ne m’ont pas fait signer tout de suite en réalité.
Ils avaient en tête notamment un tournoi féminin mondial et ils voulaient que je représente la France. Je me suis dit que c’était ma chance, que j’allais pouvoir me montrer au Monde et que j’allais être signée dans la foulée. J’étais sûre de moi !
Je suis partie avec beaucoup d’ondes positives et je voyais alors une seule solution : quitter la France. En France, je ne pouvais pas aller plus haut donc je suis partie en Allemagne, dans la plus grosse Fédération européenne de catch qui est affiliée à la WWE. Si on n’est pas à la WWE, on ne vit pas du catch pour être honnête, je dépensais plus d’argent que j’en gagnais à chaque fois que j’y allais. A côté de ça, il fallait donc que je travaille, il fallait payer les trajets, les costumes, ça coûte très cher. Il fallait vivre donc j’ai commencé à être professeure des écoles la semaine et catcheuse les week-ends et les vacances scolaires en Allemagne. Je prenais ma voiture et je faisais 5 heures de route pour aller catcher, je ne pouvais pas prendre l’avion car je finissais tard le vendredi, le plus simple était de faire le trajet en voiture. Du Booba dans les oreilles et je repensais sans cesse au « You deserve to be here ».
Je montais, montais, en Allemagne. J’ai gagné tous mes matchs pendant plus d’un an et je suis devenue la catcheuse avec le plus long règne de la Fédération allemande. J’attendais le fameux tournoi mais ils m’ont envoyé un mail pour me dire que le tournoi était annulé.
A ce moment-là, tout s’effondre pour moi.
Pendant deux ans, j’ai charbonné, j’ai évolué physiquement, j’ai pris dix kilos de muscle. Je partais à la salle tous les jours. J’ai mis de côté ma vie personnelle et là il n’y a plus rien.
C’était en septembre de l’année dernière. C’était un moment très difficile car j’avais changé d’école mais j’étais toujours dans l’Oise et j’ai eu des problèmes avec des parents d’élèves qui n’étaient pas très contents que je sois catcheuse…
Certes, j’incarne une méchante mais c’est surtout qu’ils n’aimaient pas l’image que le catch peut donner, le fait qu’on soit dans des tenues considérées comme sexy. Le fait aussi que je sois hyper jeune et surtout être une femme n’a pas aidé, on ne va pas se mentir. Car je connais UN catcheur qui est prof aussi et les parents l’adorent…
A ce moment-là, je voulais tout arrêter : l’école, le catch… C’était une période où la dépression pointait le bout de son nez… Je ne voulais pas inquiéter mes parents avec mes problèmes mais quelques articles ont commencé un peu à sortir sur moi donc je devais les rassurer par téléphone. J’ai tenu grâce au soutien de mes amis et à mes entraînements : c’était comme un exutoire. Au début, je restais chez moi à ne rien faire et à ne pas vouloir voir les gens pour ne pas les déranger mais ça n’est pas la bonne méthode. Il faut s’entourer des gens bienveillants, dire ce qu’on a sur le cœur et continuer à faire ce qu’on aime faire dans la vie.
Et là, quelques mois plus tard, je reçois un mail de la WWE : « On a annulé le tournoi mais on te veut quand même. Alors tu vas venir en Angleterre et tu vas faire des essais pour nous au Performance Center à Londres et on va voir ce que ça donne. »
Je m’entraîne là-bas, ça se passe hyper bien. Après mon premier séjour là-bas, je me dis : « Ils m’ont vu, ils m’ont kiffée, c’est sûr, je vais être signée. »
Etttt… toujours rien ! Pas de mail de signature alors que j’avais tout mis de côté. J’en rigole aujourd’hui mais, sur le moment, c’était bien frustrant.
En fait, ils préparaient les papiers pour la signature car c’est un processus assez long. Ils « checkent » tout sur nos vies notamment. Ils ont fini par me proposer un contrat juste avant le premier confinement. C’était assez incroyable de me dire que j’allais signer alors que tout était en train de fermer et qu’aux Etats-Unis ils ont viré pas mal de catcheurs.
J’ai signé le contrat qui a sonné le glas de ma carrière de professeure des écoles. J’ai fait mon premier match officiel sous contrat en septembre à Londres, c’était assez extraordinaire. C’était un match par équipes avec Nina Samuel contre Xia Brookside et Dani Luna. Le match s’est terminé de manière assez bizarre mais je vous laisse découvrir pourquoi en images… Dans le catch, l’important c’est vraiment de raconter une histoire et de faire passer des émotions à travers les personnages, les tenues et le « story-telling ». Et là, on a essayé de raconter une histoire qui va se poursuivre dans les semaines à venir.
Dès qu’ils repèrent des talents en Europe, généralement, ils les envoient à Londres. Et ils font régulièrement des échanges de talents entre Orlando et Londres. Avec la Covid-19, tout est bloqué actuellement. Les coachs ne peuvent pas se déplacer donc on travaille parfois sur Zoom. Mais quand les voyages seront possibles, oui j’irai forcément catcher aux Etats-Unis. Mais, là, mon objectif est d’être transférée directement dans la branche pour Orlando et plus faire des aller-retour. Je compte bien devenir la première Française à catcher aux Etats-Unis après avoir été la première à signer avec la WWE.
Les gens ont réagi de fou quand j’ai annoncé cette signature. Les Américains ne savaient pas que j’étais populaire en France : à chaque fois qu’ils postent un truc, il y a une ribambelle de drapeaux français en commentaires. Ça fait la différence. Le fait aussi qu’il y ait plusieurs médias qui demandent des interviews, c’est positif. Avant quand les médias s’intéressaient au catch, c’était pour faire des sujets un peu clichés où ils se moquaient un peu. Là, les gens s’intéressent au côté sportif.
Pour mon personnage, j’ai décidé de faire honneur à mes origines franco-marocaines. J’ai gardé mon prénom, Amale, qui signifie espoir en arabe. Et pour mixer les deux : « French Hope », l’espoir français. C’est en gardant l’espoir que je suis arrivée à traverser toutes ces épreuves. J’incarne le personnage d’une Française assez sûre d’elle, charismatique, qui ne va pas se laisser faire et qui va tout faire pour gagner quoi qu’il en coûte, quelqu’un qui adore se faire détester par le public. Cette arrogance « à la française » est appréciée. J’avais déjà ce personnage quand j’étais en Allemagne et les gens me détestaient, je me faisais huer tout le temps. Les gens étaient fous, ils me faisaient des doigts d’honneur. Ça veut dire que je fais bien mon travail, si les gens me détestent, c’est positif. C’est quand dans un film, il faut détester le méchant pour avoir de l’empathie pour le gentil en fait. C’est du « story-telling ».
Et à la fin des combats, quand les gens me voient, ils sont très gentils. Ils me huent sur le ring mais quand je vais à leur rencontre, ils sont agréables : ils vont me demander des photos ou des autographes mais je n’ai jamais reçu d’insultes. Les fans de catch ne sont pas bêtes, ils font la part des choses.
J’aimerais aussi ajouter que le catch, c’est un sport spectacle mais toutes les actions sur le ring font mal et sont réelles ! La structure du ring est métallique, dessus il y a des planches en bois et… c’est tout. Il y a un ressort en dessous, ça rebondit mais ça fait mal car on chute sur ces planches. Courir dans les cordes, on ne dirait pas, mais ça fait hyper mal car elles sont en partie en fer. Après un match, tu as toujours des bleus au niveau des bras. Les coups font mal aussi. On se donne des coups dans des endroits stratégiques pour ne pas blesser l’adversaire mais il faut quand même que ça claque, que ça ait l’air réel. Quand on se prend des claques sur le torse et qu’on a la main de l’adversaire tatouée, ce n’est pas rien. On n’a pas de cascadeuses qui vont faire les chutes à notre place, on ne peut pas refaire la scène parce que c’est en live. On n’a qu’une chance pour rendre la scène le plus spectaculaire possible.
Le catch, c’est comme dans la vie, même si on prévoit des choses, il y a toujours des imprévus ! Si quelque chose se passe ou que la personne se blesse par exemple à l’épaule, elle doit continuer le match mais il faut éviter tous les mouvements avec l’épaule. Il y a quand même une grosse part d’improvisation. Un catcheur professionnel, c’est savoir faire un match sans le préparer. On s’entraîne beaucoup à ça ! Après je ne vais pas dévoiler tous nos secrets, j’aime bien comparer ça aux magiciens : on ne montre pas l’envers du décor, il faut laisser les gens avec ce petit côté magique.
Ah et aussi : j’adore Booba, pour moi, il a traversé les générations, il est encore au sommet de tout ce qu’il fait au fil des années. Les gens ne voient pas qu’il a aidé beaucoup d’artistes à se lancer, la musique c’est comme le catch, c’est un peu du « story-telling », il a ses « gimmicks », son personnage. Il en joue, c’est comme ça qu’il fait le buzz et il a raison. Il y a Sasha Banks, une grande star de la WWE, qui a fait son entrée à Wrestlemania, le plus grand show de l’année, avec Snoop Dogg qui est son cousin. Je me dis pourquoi pas en faire de même avec Booba si j’arrive à ce niveau-là. Ça serait incroyable d’entendre du rap français pour un tel événement. Si un jour, je le rencontre, on verra ce que ça peut donner…
Propos recueillis par Pierre Godfrin Follow @_PGod_
Retrouvez nos autres beIN Confidences :
Xavier Jourson : "Le triathlon le plus dur au monde est pour moi !"
Ian Mahinmi : « Le racisme n’a pas de fondements »
Richard Gilot, un Frenchie en D6 anglaise !
Edouard Mendy : "Au chômage, plus personne ne pense à toi..."
Emmanuel Ntim : « Et là, ma chance est enfin arrivée »
Matthieu Bailet : « J’ai aussi fait ce choix pour être lié à elle »
Yohann Ndoye Brouard : "Et là, ma mère ne me reconnaît plus"
Didier Tholot : "J'ai fait ma causerie depuis les toilettes"
Mathias Coureur : "Ma carrière, c’est une école de la vie"
Jordan Avissey : "Ici, tu peux devenir le sportif parfait"
Jordan Avissey : Le recrutement se passe... sur Twitter !
Jordan Avissey : Je m'appelle Jordan, voici mon histoire..