Marc-Angelo Soumah nous raconte… son été en NFL
Consultant beIN SPORTS, Marc-Angelo Soumah revient sur sa participation à la présaison des Browns en 2003, avec de la bagarre, du sentiment anti-français mais, au final, une "superbe expérience".
Le "satané Français"
"Quand je suis arrivé chez les Browns, j’étais un peu une aberration pour les Américains. Parce qu’à l’époque, il n'y avait quasiment aucun étranger. Et les joueurs non-américains vivaient aux Etats-Unis et avaient fait la fac là-bas, ils étaient déjà sur les radars. Ils ne comprenaient donc pas ce que je faisais ici. Et puis je suis arrivé en 2003, alors que Chirac venait de dire non à l’intervention en Irak. Et il y en avait quelques-uns qui refusaient de me serrer la main. On ne l’a pas vécu comme ça, mais pour eux c’était compliqué. Lors du rookie show, on nous demande de monter sur une table et de chanter. Je chante en français, "Il était un petit navire", et il y a une partie de l’équipe qui se met à crier : "USA, USA !" Je chante très fort pour les couvrir et là ils se taisent. Mais c’était une période spéciale pour certains joueurs. Ils se demandaient : « Mais qui est ce satané Français qui vient nous casser les pieds ? » Et c’est seulement sur le terrain que j’ai réussi à les calmer. Ce qui fait qu’au bout de deux semaines, je n’avais plus de problème du tout, ils voyaient que j’étais légitime. C’est comme ça que j’ai gagné le respect.
"Il n'y a aucune pitié"
Pour moi, c’était le summum de toute mon expérience. C’était le top du top, après quatre années en NFL Europe. Et c’est ce qui m’a amené à Cleveland. Je voulais prouver que j’étais à ce niveau-là. Et c’est ce que j’ai réussi à faire. Mais quand je suis arrivé, j’avais 30 ans et je sortais déjà d’une saison. Et le camp, c’est éprouvant, même si les coaches m’ont dit qu’ils savaient qu’il fallait m’économiser un peu, parce que j’avais une saison dans les jambes. C’était dur, parce qu’il ne fallait pas être moyen. Chaque entraînement, c’est la guerre totale. Et la NFL Europe m’a parfaitement préparé à ça. Mais là, les mecs sont encore meilleurs, et tu paies cash la moindre petite défaillance. Tout le monde doit gagner sa place, il n’y a aucune pitié. Et dès le début, j’ai senti qu’ils repéraient celui qui était un peu moins bon pour essayer de passer contre lui, pour se faire bien voir et gagner sa place. Et au début, j’étais ce mec-là. Parce qu’ils savaient que j’étais Français et que je venais d’arriver, alors qu’eux avaient déjà fait les mini camps d’avril. Et je ne connaissais pas encore le cahier de jeu, donc j’ai eu quatre à cinq jours d’adaptation. Et ils voulaient toujours passer contre moi et s’arrangeaient pour le faire, parce que j’étais, entre guillemets, "la victime". Mais au bout de quatre, cinq jours, ils ont changé d’avis. Déjà, il m’a fallu à peu près deux jours pour m’adapter à l’intensité. Parce qu’au début, c’était chaud. Même le cinquième remplaçant il est mortel ! Pour le cahier de jeu, mon coach receveur ne voulait pas me le donner le premier jour. Parce que pour lui, j’étais un accident. Finalement, à la fin du deuxième jour, après avoir insisté toute la journée, il me donne le cahier de jeu. Et là, j’ai été studieux et je l’ai dévoré. Et au bout de quatre, cinq jours je le contrôle.
"Il ne faut pas te battre avec un titulaire"
Après, je me souviens que la première fois où je suis sorti de ma coquille, c’était face à un mec qui s’appelait Daylon McCutcheon. Il était titulaire et il aimait bien passer contre moi. Et là, je lui mets un check sur un tracé et je marque derrière. Et il n’aime pas ça. Tout le monde commence à chambrer et à crier : « Waouh le petit Frenchy a marqué ! » La fois d’après, je lui remets une feinte de fou où je lui casse une cheville et je marque encore. Et là, il me pousse. Je me relève, je lui rentre dedans et ça déclenche une bagarre. Mais c’était l’erreur à ne pas faire. Parce que quand tu es un gars qui vient gagner sa place, il ne faut pas te battre avec un titulaire. On connaît tous cette règle. Si tu blesses un titulaire, tu coûtes de l’argent. Il y a même des coachs, en début de camp, ils vont te dire : « Personne ne touche à notre joueur star, il paie l’école de mes enfants et ma maison. » A la fin de l’entraînement, le head coach vient me voir et me dit : « T’as fait un super entraînement, c’était très bien. Mais la prochaine fois que tu te bats, je te vire. » Mais les autres joueurs m’ont respecté à partir de là. Parce que je commençais à bien jouer, et à mettre à l’amende des titulaires. Et aussi parce que j’ai montré que je ne me laisserai pas faire. Les joueurs ont également vu que l’entraîneur était venu me voir, mais qu’il ne m’avait pas viré. Ce qui voulait dire qu’aux yeux des coachs, j’avais de la valeur.
"Tout le monde savait que j'avais marqué"
Après, j’ai marqué un touchdown lors d’un scrimmage contre Buffalo, et j’ai failli en mettre un autre en présaison face aux Titans. C’était exactement la même action : je passe devant le linebacker, qui lit autre chose, et je suis donc tout seul. Et il y a de la pression sur le quarterback, Josh Booty, qui se débarrasse de la balle vers moi. Il avait déjà l’habitude de faire ça à l’entraînement. Je me jette sur le ballon en mettant les deux mains, je l’attrape, je me relève et je le mets en l’air pour montrer que je l’ai bien eu. Et là, je vois l’arbitre qui commence à signaler que la passe est incomplète… Je me souviens de m’être dirigé vers l’arbitre pour lui dire, mais un de mes gros m’avait attrapé pour me remettre dans l’autre sens. Malheureusement, ils n’ont pas revu l’action. Et mon coach me disait qu’on n’allait pas demander la vidéo là-dessus, sur un mach de pré-saison. Mais tout le monde savait que j’avais marqué. J’étais un peu déçu parce que ça nous aurait fait gagner, et que je compterais un touchdown en NFL. Ça aurait peut-être changé les choses pour moi, mais je ne le pense pas. Parce que leur décision de ne pas me conserver était surtout basée sur le fait que j’avais 30 ans, et que j’étais en concurrence avec des gars de 21, 22 ans. Et je la comprenais, pour la construction de leur équipe. Mais alors que, normalement, c’est le responsable du personnel qui t’annonces que tu es coupé, le head coach a voulu me voir. Il m’a dit : « On aimerait bien te garder, t’es un super joueur. On sait que tu pourrais faire du super boulot pour nous cette année et potentielle la prochaine. Sauf qu’on a plusieurs tours de draft pour prendre des receveurs. Donc en termes de salaire, on va couper parce qu’on ne va pas garder beaucoup de receveurs. » Ce qui veut dire que si j’avais été dans une équipe qui n’aurait pas autant investi sur les receveurs, j’aurais peut-être été retenu. Mais encore une fois, c’est une décision qui s’entend. Et qui ne me laisse au final pas trop de regrets, parce que j’ai vécu une superbe expérience."