Teddy Riner : « Je pense à Tokyo tous les jours »
A dix jours du Grand Slam de Paris, Teddy Riner s’est longuement confié à la presse. Etat de forme, programme de la saison et objectif olympique, le poids lourd du judo français a tout dit.
Teddy Riner, tout d’abord comment allez-vous ?
Ça va, je suis super content de ma progression dans la préparation. Niveau judo, niveau physique, je touche du bois, tout va bien. Même dans la tête, je me sens plus que bien. Maintenant il ne faut pas tomber dans le piège. Les Jeux olympiques, c’est dans cinq mois, il ne faut pas être prêt avant alors je me temporise.
Vous allez faire votre grand retour à Paris !
On m’a dit que ça fait sept ans. Je ne pensais pas que ça faisait autant. Ça passe vite. Où j’étais, qu’est-ce que je faisais ? J’étais jeune à l'époque (rires). Ça m’a manqué. Je n'avais pas l’impression que ça faisait autant d'années. Je ne comprends pas, mais où j'étais ? (rires) Sérieusement, je suis très content de revenir à Paris. Je n'ai presque plus de souvenir à Paris, en réalité c’est ma première à l’AccorHotels Arena. A l’époque c’était encore Bercy, les sièges étaient rouges.
Ce tournoi représente quoi pour vous ?
C’est une belle date dans le calendrier. Le tournoi est très bien placé par rapport à ma préparation. Ça va me faire un shoot de pression qui va me permettre de travailler à tous les niveaux. Je vais pouvoir aller chercher les meilleurs parce qu’il y aura du monde. On va commencer plus tôt avec une compétition qui dure, ça sera bien. Avec le public qui va crier « Teddy ! Teddy ! », la défaite sera vraiment interdite. Il faudra être parfait sur le tapis, gérer le nouveau règlement. Tout ce schéma va me faire du bien à six mois des JO. S’il y a des choses à travailler, j’aurai le temps de les mettre en place contrairement à une compétition plus tardive. C’est important de se mettre une alerte. D’aller voir ce qu’il y a derrière tout ça, comment je suis. Se dire "je suis bien" et être bien le jour J, ce n’est pas la même chose. Je vais pouvoir regarder de quelle couleur sont les voyants.
Il y aura quelques absents à Paris, comment vous gérez ça ?
Je m’en fous. Chaque combat je dois gagner, point. On y va. Si j’y vais, c’est parce que je me sens prêt. L’adversaire qu’il y aura en face n’a pas d’importance. Je dois prendre tout le monde et battre tout le monde.
Vous sortez d'un stage à Mittersill en Autriche, c'était comment ?
C’était dur. C’est la première fois que j’y allais. C’est le plus gros stage au monde, je n’avais jamais vu autant de judokas sur un tapis pour un stage. Ça m’a fait du bien. Au retour de vacances, où j’étais malade, ça fait mal mais ça m’a fait du bien. Le judo était là et c’est monté crescendo en fonction des entraînements. C’était vraiment un bon stage parce qu’il y a tous les combattants. Cadets, juniors, seniors, numéros 1, 2, 3 ...
Quelqu'un vous a impressionné là-bas ?
Les Russes, ils ont un sacré réservoir... Ils ont vraiment ce qu’il faut. A un moment, j’ai fait sept combats, que des Russes. J’ai rarement vu autant de judokas d’un même pays qui font bien du judo.
« Michael Phelps, c'est un tueur à gages »
Vous êtes aussi passé aux Etats-Unis, c'était comment ?
C'était sympa. On a fait beaucoup de préparation physique. On a été à l’IMG Academy, c’était incroyable. Au niveau des infrastructures, l’INSEP c’est une goutte d’eau à côté. C’est impressionnant de voir comment ils conçoivent le sport. Il y a eu de bons échanges avec le boss d’Under Armour, Michael Phelps, Lindsey Vonn. C’était cool de discuter avec de grands champions.
Qu’en avez-vous retenu ?
C’est personnel (rires). C’est bien de voir ce qu’un gars comme Michael Phelps a dans la tête. Comprendre la manière dont il s’est préparé. C’est fou. C’est un tueur à gages quand même. Il faut un sacré cou pour porter ses médailles. J’ai beaucoup de respect pour lui. Sa détermination m’inspire. J’étais déjà content de voir à Rio comment il rentre dans l’arène. Il est déterminé. Il a ce regard, cette manière d’être dans son truc. Dans ses yeux, tu sais qu’il va gagner.
Mais c’est pareil avec vous...
Je l’ai mais ce n’est pas pareil. C’est bien de le voir ailleurs. J’ai besoin de le ressentir chez les autres. Je ne sais pas comment l’expliquer mais j’aime voir ce que les grands font. C’est important. On s’inspire les uns les autres. C’est difficile à expliquer. J’adore voir la gagne dans les yeux de quelqu’un, ce que le public arrive à vivre. Usain Bolt par exemple, tu ne ressors avec aucune information quand il rentre dans l’arène. Avec lui, ça se jouait dans la salle d’échauffement. A l’entrée dans l’arène, ça n’avait rien à voir.
Franck Chambily vous estime à 60% de votre meilleure forme, vous confirmez ?
Il est gentil lui, je pense que je suis un peu plus haut quand même. Je dirais 75-80% et on peut encore faire très mal en continuant le travail.
Où devez-vous encore progresser ?
Le judo est là. Aujourd’hui, j’ai plein de techniques, il faut maintenant les placer au bon moment. Ne pas vouloir en faire trop. C’est au niveau de l’intelligence de combat qu’il faut avancer. Avec beaucoup de techniques on veut en faire beaucoup mais l’important c’est de marquer Ippon, même si ce n’est pas beau.
Où en êtes-vous au niveau des certitudes ou des appréhensions par rapport au judo ?
Ça sera toujours du 50-50. J’ai la certitude que je suis bien mais il y a l’appréhension, si ça se trouve je suis bien dans la tête mais la réalité est différente. Pour l’instant, la réalité est là sur le tapis comme pendant le stage en Autriche mais la compétition c’est autre chose. Le Jour J, il y a plein d’autres facteurs qui changent la donne.
Quel est le programme de votre saison ?
Il y a Paris la semaine prochaine et ensuite si tout va bien on met le cap sur le Grand Prix du Maroc à Rabat en mars. Puis une autre compétition qui n’est pas encore définie en mai-juin.
Ce n’est pas trop dur de ne pas avoir une vision claire de son programme ?
Non, c’est aussi une volonté de notre part de brouiller les radars et d’être tranquilles sur certaines compétitions. Mais bon, à Paris, personne ne peut être tranquille. Les vautours seront là mais c’est bien aussi.
Est-ce que les progrès de l’adversité vous obligent à changer votre judo ?
Je n’y fais pas attention. Je regarde moi et ce que je dois faire pour gagner. C’est là que je progresse. Il faut arrêter de regarder les autres.
« Il ne faut pas faire attention aux nouvelles règles si tu es un combattant qui livre bataille »
Comment analysez-vous l’évolution de la catégorie des lourds ?
Elle a vachement changé. Les corps des combattants ont bien changé. Ils sont plus jeunes, plus mobiles. Je viens de remarquer que je suis un des plus vieux maintenant (il fêtera ses 31 ans en avril, ndlr). Je commence à comprendre ce que les anciens ressentaient. Mais ces jeunes-là, ils ont faim. Ils ont les crocs. Ils combattent tous les week-ends. On ne faisait pas ça à l’époque.
Et les nouvelles règles, elles vous embêtent ?
Non parce qu’à chaque fois qu’on vient me les raconter, je me dis qu’il suffit d’attaquer. Il faut juste combattre. Il faut pas faire attention aux règles si tu es un combattant qui livre bataille. Si tu es un mec qui est dans la défense alors oui attaque-toi à ton calepin. Moi non. Je n’ai jamais trop fait attention à ça. Fait du judo, c’est tout.
Tokyo, vous y pensez souvent ?
Tous les jours. Tout ce que je fais, c’est pour Tokyo. Il n’y a rien d’autre. C’est dur mais c’est pour Tokyo. Le stage en Autriche, l’entraînement chaque jour, on serre les dents, on fait ce qu’il faut.
Est-ce plus dur que par le passé ?
J’ai l’impression que tout est plus dur. J’ai le ressenti d’avoir une plus grande charge de travail. L’échauffement, le judo, mettre un pied devant l’autre, tout ça devient plus difficile. Mais je pense que je fais plus, ce n’est pas possible sinon. On dit l’expérience, tout ça, mais j’ai l’impression de faire plus que quand j’étais plus jeune. Après, c’est peut-être parce que je ne veux surtout pas rater cet événement, cette période de ma vie, et que je fais ce qu’il faut.
« Avec cet état d’esprit je pense à Los Angeles 2028 maintenant. Mais il faut être honnête, c'est mort »
Qu’est-ce qui vous fait avancer ?
Cette médaille d’or. Clairement, c’est ce que je veux. C’est la carotte, ce qui me fait avancer.
Quand vous voyez que c’est aussi dur, vous arrivez à viser Paris 2024 ?
Alors là depuis deux semaines, j’ai jamais autant dit que je ferais 2024. Avec cet état d’esprit je pense même à Los Angeles maintenant. Quand je suis comme ça avec les voyants au vert et que le corps répond bien comme ça, tout est bon pour aller jusqu’en 2024. Après, il faut être honnête même avec cet état d’esprit, Los Angeles 2028 c’est mort. Ça sera Paris 2024 et c’est tout.
C’est le fait de marquer l’histoire qui vous transcende ?
Oui clairement, c’est ça. Le jour J, la minute même après le troisième titre olympique, je vais voir Tadahiro Nomura (le seul triple champion olympique de l’histoire du judo) et lui dire « tu passes second maintenant ». Là où il est malade c’est que si je gagne, il me dira qu’on est à égalité. Mais jamais, il y a ma médaille de bronze en 2008 qui fera peser la balance en ma faveur. C’est une médaille dont je n’ai jamais trop parlé mais là je vais en parler.
Cette médaille de bronze, elle vous aura aidé quand même ?
Chaque défaite m’aura aidé. Bien plus que mes victoires. Si en 2010, il ne m’arrive pas ça (défaite en finale des Mondiaux toutes catégories, ndlr), je ne suis même pas sûr d’être champion olympique en 2012, je ne sais pas si j’ai ce palmarès ou si je suis encore là devant vous aujourd’hui pour vous parler.
Par rapport aux autres versions de vous-même, où vous situez-vous actuellement ?
Là, je peux battre tous les autres Teddy Riner. j’en suis sûr à 10 000%. Et sans forcer en plus. J’ai beaucoup plus de judo, d’expérience et de vice. Les Teddy, je sais comment les gérer. Quand je dis du vice, c’est de la stratégie. C’est l’expérience, je sais à quel moment le piquer. Un Teddy, je vais l’exploser, l’autre je vais montrer comment le battre juste avec des pénalités pour le disqualifier. Ce que je dis est vrai. Bon, j’avoue, un Teddy me ferait chier, c’est celui de 2011. Il aurait été dur à battre car il bouge trop. Comment je m’y prendrais ? Avec un impact physique d’entrée pour le canaliser tout de suite.
C’est plus facile de se projeter face à soi-même ou face à un adversaire ?
(Il réfléchit) C’est différent. Teddy, il est droitier. Il a plein de techniques, c’est vrai, mais tu sais qu’il est droitier. Un adversaire, tu ne sais pas. Il peut être droitier, gaucher, ambidextre, utiliser les deux revers… C’est plus dur de se projeter avec tous les adversaires qu’avec un Teddy qui est droitier.
A l'INSEP, N.K.